Certaines langues anciennes sont connues parce qu'on a retrouvé des textes écrits dans ces langues. En les comparant, on constate parfois des similitudes :
« Frère » Indo-européen : *bʰréh₂ter sanskrit : « भ्रातृ » (bhrātr̩) breton : « breur » arménien : « եղբայր » (eghbair̩) grec ancien : « φράτηρ » (frátêr) latin : « frater », d'où, par exemple, pour les langues romanes : français : « frère » occitan : « fraire » roumain : « frate » lituanien : « brolis » persan : « برادر » (barādar) proto-germanique : « brōþēr », par exemple, d'où, par exemple, pour les langues germaniques : allemand : « Bruder » anglais : « brother » néerlandais : « broeder » norvégien : « bror » proto-slave : « bratъ », d'où, par exemple, pour les langues slaves : biélorusse : « брат » (brat) polonais : « brat » tchèque : « bratr » « Cheval » Indo-européen : *h₁éḱwos arménien : « էշ » (ēš, désigne l'âne) sanskrit : « अश्व » (aśva) celtique gaulois : « epos » vieux breton : « eb » breton : « ebeul » (diminutif, désigne le poulain) grec ancien : « ἵππος » (híppos) éolien : « ἵκκος » (híkkos) latin : « equus » espagnol : « yegua » (désigne la jument) occitan : « èga » (désigne la jument) portugais : « égua » (désigne la jument) français : « équidé » (désigne la famille d'ongulés dont font partie les chevaux) lituanien : « ašvà » (désigne la jument) persan : « اسب » (asb) proto-germanique : « *ehwaz » vieil anglais : « eoh » islandais : « jór »
Latin archaïque Grec Sanskrit Indo-européen Féminin Singulier Nominatif a a a a Vocatif a a ar a Accusatif am an aram am Génitif as / ai / ais as us as Datif ai a re ai Pluriel Nominatif ai ai aras as Vocatif ai ai aras as Accusatif as as rs ans Génitif om / asom on rnam am Datif eis / abos ais rbhyas abhos Masculin Singulier Nominatif os os us os Vocatif e / us e o e Accusatif om on um om Génitif i / ei ou os osyo Datif o oi ave oi Pluriel Nominatif oe/e/ei/i/es/eis/is oi avas os Vocatif oe/e/ei/i/es/eis/is oi avas os Accusatif os ous un ons Génitif om / um on unam om Datif ois/oes/eis/is ois ubhyas obhos
https://fr.wikipedia.org/wiki/Linguistique_compar%C3%A9e
La principale méthode de travail repose sur la comparaison, entre les différents états d'une même langue ou entre des langues différentes mais issues d'un même ancêtre. Elle permet, en relevant des concordances régulières phonétiques, syntaxiques et, plus rarement, sémantiques, d'établir des parentés entre les langues. Elle a donc comme premier objet d'étude les similarités formelles révélées par ces comparaisons. C'est la linguistique comparée qui permet donc d'établir l'existence des familles de langues qu'on dit alors liées par des relations génétiques ; elle étudie ainsi :
C'est après avoir lu la traduction allemande de "L'origine des espèces" que le linguiste August Schleicher écrivit une brève monographie intitulée "La théorie de Darwin et la science du langage" (1868), où il essayait de montrer le parallélisme entre l'évolution des plantes et des animaux, et celle des langues : "Les langages sont des organismes naturels qui, en dehors de la volonté humaine et suivant des lois déterminées, naissent, croissent, se développent, vieillissent et meurent : elles manifestent donc elles aussi cette série de phénomènes qu'on comprend habituellement sous le nom de vie".
Par exemple, les Romains ont conquis de nombreux pays, et les autochtones de ces pays ont appris leur langue, le latin, qui s'est différencié d'un pays à l'autre pour donner les différentes langues romanes.
On peut imaginer que, de la même façon, un peuple s'est répandu en Europe et dans une partie de l'Asie en diffusant sa langue qui s'est ensuite différentiée. C'est l'hypothése indo-européenne.
La reconstruction de cette langue originelle appelée indo-européen (ou indo-européen commun ou proto-indo-européen) repose sur des correspondances régulières pour un grand nombre de mots dans un nombre de langues limité.
On reconstruit les mots de la langue mère en appliquant à l'envers des lois linguistiques d'évolution phonétique à partir des langues filles.
Exemple : Loi de Grimm
indo-européen *ph₂tḗr « père » :
germanique commun *p > φ > f : gotique fadar, anglais father, vieux haut allemand fater (allemand Vater), néerlandais vader, islandais faðir, danois, suédois fader, etc. ;
arménien *p > [h] : hayr (հայր, de *hatʰir avec amuïssement de -tʰ- à l'intervocalique), mais
*p reste [p] en latin pater, grec πατήρ, sanskrit pitr, osque patir, tokharien A pācar, B pācer, etc ;
i.-e. *déḱm̥t « dix » :
germanique commun *d > t : got. taíhun, angl. ten, néerl. tien, isl. tíu, etc. ;
arménien *d > [t] : tasə (տասը ; anciennement tasn), mais
*d reste [d] en latin decem, grec δέκα, sanskrit daśa, vieux slave desętǐ, breton dek, gallois deg, etc. ;
i.-e. *bʰére- « porter » :
germanique commun *bʰ > b : got. baíran, angl. bear, néerl. beuren, isl. bera, norvégien bære, suéd. bära, etc. ;
arménien *bʰ > b : berem (բերեմ), mais
*bʰ reste tel quel ou se durcit : latin fero ([f] < *bʰ) et grec φέρω ([f] < [ɸ] < [pʰ] < *bʰ), en face du sanskrit bhárati, etc.
fable de Schleicher
version de Lehmann et Zgusta (1979)
Owis eḱwōskʷe
Gʷərēi owis, kʷesjo wl̥hnā ne ēst, eḱwōns espeḱet, oinom ghe gʷr̥um woǵhom weǵhontm̥, oinomkʷe meǵam bhorom, oinomkʷe ǵhm̥enm̥ ōḱu bherontm̥. Owis nu eḱwobh(j)os (eḱwomos) ewewkʷet: "Ḱēr aghnutoi moi eḱwōns aǵontm̥ nerm̥ widn̥tei". Eḱwōs tu ewewkʷont: "Ḱludhi, owei, ḱēr ghe aghnutoi n̥smei widn̥tbh(j)os (widn̥tmos): nēr, potis, owiōm r̥ wl̥hnām sebhi gʷhermom westrom kʷrn̥euti. Neǵhi owiōm wl̥hnā esti". Tod ḱeḱluwōs owis aǵrom ebhuget.
Le mouton et les chevaux
Sur une colline un mouton, qui n'avait pas de laine, regardait des chevaux, l'un tirant un lourd chariot, un autre une grosse charge, un autre portant rapidement un homme. Le mouton dit aux chevaux : "Cela me fait mal au coeur de voir un homme mener des chevaux". Les chevaux dirent : "Ecoute, mouton, ça nous fait mal au coeur de voir l'homme, le maître, se fabriquer un vêtement chaud avec la laine des moutons. Et le mouton n'a plus de laine". Ayant entendu ceci, le mouton s'enfuit dans le champ.
Problème de ce modèle : on n'a pas trouvé de preuves archéologiques de migrations d'un peuple qui aurait parlé l'indo-européen.
D'autres linguistes ont tenté de remonter plus loin que l'indo-européen.
Les linguistes russes Vladislav Illich-Svitich, Aharon Dolgopolsky et Serguei Starostine ont reconstruit une hypothétique langue nostratique dont l'indo-européen serait une langue fille.
Dolgopolsky a élaboré un dictionnaire nostratique, mais on constate que souvent les mots nostratiques sont reconstruits à partir de mots provenant d'un petit nombre de familles de langues.
Nostratic (Illich-Svitych's spelling) | Nostratic (IPA) | Russian | English |
---|---|---|---|
K̥elHä wet̥ei ʕaK̥un kähla | /K̕elHæ wet̕ei ʕaK̕un kæhla/ | Язык – это брод через реку времени, | Language is a ford through the river of time, |
k̥aλai palhʌ-k̥ʌ na wetä | /k̕at͡ɬai palhVk̕V na wetæ/ | он ведёт нас к жилищу умерших; | it leads us to the dwelling of those gone before; |
śa da ʔa-k̥ʌ ʔeja ʔälä | /ɕa da ʔak̕V ʔeja ʔælæ/ | но туда не сможет дойти тот, | but he cannot arrive there, |
ja-k̥o pele t̥uba wete | /jak̕o pele t̕uba wete/ | кто боится глубокой воды. | who fears deep water. |
Nostratic Dictionary By Aharon Dolgopolsky
Arbre généalogique de Starostin : (! = largement reconnu, ? = spéculatif, ?? = largement rejeté) https://en.wikipedia.org/wiki/Borean_languages ? Boréen ? Nostratique ! Afro-asiatique ou chamito-sémitique : langues d'Afrique du Nord et de la péninsule arabique ? Eurasiatique ! Indo-européen : indo-iranien, grec, italique, celtique, germanique, balto-slave, arménien, albanais, anatolien, tokharien ! Ouralien : finnois, estonien, hongrois... ?? Macro-altaïque ! turc ! mongol ! toungouse ! coréen ! japonais ?? Paleosiberien ! Kartvélien (Caucase) ! Dravidien (Inde) ?? Amérinde ? Dené-Daic ? Dené-caucasien ! Na-Dené (Ouest du Canada, Alaska) ! Basque ? Sino-caucasien ! Sino-tibétain ? Nord-caucasien ! Ienisseïen (Sibérie) ! Bourouchaski (Pakistan) ? Austrique ! Austro-asiatique ! Miao-Yao ou hmong-mien (Chine du sud et indochine) ? Austro-Tai ! Austronésien (Océans indien et pacifique) ! Tai-kadai (Indochine)
Merritt Ruhlen, linguiste américain élève de Joseph Greenberg, grâce à une approche consistant à comparer un petit nombre de mots dans un grand nombre de langues, affirme avoir découvert 27 racines mondiales qui pourrait provenir d'une langue unique ancêtre de toutes les langues :
aja mère, parent féminin plus âgé aq'wa eau bu(n)ka genou, courber bur cendres, poussière cun(g)a nez, sentir kama tenir kano bras kati os k'olo trou kuan chien ku(n) qui kuna femme mako enfant maliq'a sucer, têter, allaiter, poitrine mana rester mano homme mena penser mi(n) quoi pal deux par voler (dans les airs) poko bras puti vulve teku jambe, pied tik doigt, un tika terre tsaku jambe, pied tsuma poil, cheveuSi ces 27 racines sont tout ce qui reste de cette hypotétique langue originelle, on peut cependant se demander quel sens ça a de considérer que toutes les langues dérivent d'elles, si la plus grande partie de leur vocabulaire, et probablement aussi de leur grammaire, ont été inventés postérieurement.
Exemple :
Les romains conquièrent la Gaule. Étant donné le prestige culturel, économique et politique que véhiculait le latin, les Gaulois finirent par abandonner leur langue pour adopter le latin, mais ils ont des difficultés pour parler correctement cette langue, et ils y ajoutent des mots gaulois. Ensuite les Francs envahissent la Gaule et apprennent à parler ce dialecte du latin et y incorpore certains mots franciques. C'est ce mélange qui donne le français, auquel viendront ensuite s'incorporer des mots empruntés à diverses langues (arabe, anglais...) Donc le français vient principalement du latin, sa langue mère, mais il a un substrat gaulois, un superstrat francique et des emprunts à différentes langues (arabe, anglais, ...). Un adstrat est une langue qui en une influence une autre du fait de sa proximité géographique.
Plusieurs linguistes pensent que le grec ancien aurait un substrat pélasgique. Selon Theo Vennemann ("Europa Vasconica - Europa Semitica"), les langues européennes auraient un substrat basque, les langues celtiques un substrat sémitique et les langues germaniques un superstrat sémitique (punique).
Le Russe Nikolaï Troubetzkoy (1890-1938) impose quant à lui (1928) le terme d’« union linguistique » (языковой сою1), le plus souvent utilise sous sa forme allemande, Sprachbund, désignant un « groupe de langues offrant des similarités de syntaxe, de morphologie, de lexique lié à des réalités culturelles, et sur un partage de la phonétique sans parentés de système » : des langues non apparentées peuvent converger au niveau de leurs structures, suite à des situations de contact intense. Ainsi, un sprachbund est un groupe de langues qui ont acquis des similitudes de par leur proximité géographique qui favorise le contact entre ces langues, sans que celles-ci soient réputés « parentes ». Concrètement, sa description repose sur le repérage d’isoglosses désignant « frontières ou délimitations géographiques d'une caractéristique linguistique donnée, par exemple la prononciation d'une voyelle, la signification d'un mot, ou l'utilisation de tel ou telle caractéristique syntaxique ». http://moodle.paris-sorbonne.fr/mod/resource/view.php?id=62594
Il me semble que ces notions d'aire de convergence linguistique, de théorie des vagues, d'emprunts réciproques expliquent difficilement la grammaire commune (déclinaisons, conjugaisons...) car la grammaire forme un tout cohérent et il me parait difficile qu'elle ait pu être empruntée "par petits bouts". D'autre part ces théories n'expliquent pas pourquoi les langues convergeraient à certaines époques et divergeraient à d'autres, surtout que les progrès dans les moyens de déplacement (domestication du cheval, invention de la roue et du char) devraient logiquement conduire à faciliter les échanges et donc la convergence entre les langues. D'autre part, il semblerait que plus on remonte loi dans le passé, plus les différentes langues archaïques se ressemblent, ce qui semble indiquer que les langues ont tendance à diverger et non pas à converger.
Cette idée est reprise par l'archéologue Jean-Paul Demoule dans son livre "Mais où sont passés les indo-européens ? Le mythe d'origine de l'occident" pour qui les raisons de l'élaboration du modèle indo-européen seraient de trouver un mythe d'origine de remplacement de celui de la Bible - mythe dont les Européens (chrétiens ou de tradition chrétienne) étaient redevables à […] leurs boucs émissaires favoris, les juifs».
Selon Demoule, les données les plus récentes en matière de biologie ou de linguistique, pas plus que les dernières recherches en archéologie, ne valident les diverses hypothèses sur les routes de ces invasions présumées d’Indo-Européens. «Le modèle européen canonique, arborescent, centrifuge et invasioniste est indubitablement le plus pauvre, le moins intéressant et le moins convaincant qui puisse être offert pour rendre compte des indéniables apparentements entre des langues et des mythes, sinon des gènes, d’une partie de l’Eurasie», écrit Jean-Paul Demoule, qui en conclusion de son livre propose douze antithèses indo-européennes pour une approche différente, appelant à penser la préhistoire et la protohistoire européenne «non plus comme une succession généalogique de sociétés, d’ethnies ou de "cultures" mais comme un monde multipolaire en permanente recomposition».
Jean-Paul Demoule, juillet 1999, dans Destin et usages des Indos-Européens, paru Mauvais temps, N°5, juillet 1999 http://www.anti-rev.org/textes/Demoule99a/ rejoint les idées de convergence par influence mutuelle.
" Il faut donc imaginer que les contacts prolongés, pendant des millénaires, de centaines de groupes humains successifs dans l'espace eurasiatique ont évidemment créé, par rencontres, osmoses, emprunts, et parfois aussi conquêtes, les nombreux points de convergence constatés. Il faut donc abandonner ce modèle arborescent, si pauvre et si funeste, pour des hypothèses historiques infiniment plus riches et plus complexes."
Que penser de ce point de vue ?
En ce qui concerne l'indo-européen mythe alternatif à celui de la Bible, ils se situent à des niveaux différents. Le mythe de la Bible est un mythe de création du monde. Le mythe indo-européen, si tant est que ce soit un mythe, ne serait qu'un mythe d'origine des peuples européens, perses et indiens, qui n'est a priori en rien incompatible avec celui de la bible.
Demoule est favorable aux idées de Troubetzkoy dont nous avons vus précédemment les problèmes qu'elles posent. Il s'attarde beaucoup sur des petits détails difficiles à expliquer dans le cadre du modèle indo-européen mais ne dit rien sur la façon d'expliquer l'aboutissement à un ensemble de systèmes grammaticaux cohérents et semblables par des phénomènes de convergence progressive. Troubetzkoy défendait ce genre d'idées, mais comment expliquer que la très grande majorité des linguistes ont adopté le modèle indo-européen et non pas des modèles de type linguistique aréale, union linguistigue ou théorie de vagues ? Sont-ils tous idiots ou racistes ?
Demoule s'interroge aussi sur la raison qui fait que certaines régions comme le pays basque ont échappé à l'indo-européanisation. Cela pourrait s'expliquer par le fait que les populations qui habitaient ces régions étaient plus attachées que les autres à leurs cultures et à leurs langues.
D'autre part, Demoule dit que le fait qu'un mot se retrouve dans différentes langues ne prouve pas qu'il vienne d'une langue mère commune, par exemple le mot café. Mais on peut facilement faire la différence entre un mot hérité d'une langue mère commune et un mot qui s'est diffusé par emprunt à partir d'une autre langue : dans le premier cas, les lois linguistiques d'évolution phonétique et les correspondances régulières sont respectées, alors que dans le deuxième cas le mot passe dans les différentes langues avec beaucoup moins de transformations. Par exemple, si le mot "café" venait de l'indo-européen, on pourrait reconstruire un mot *cabhe sur le modèle de bhrater -> frère, mais ce mot devrait donner quelque chose comme "cobe" et non pas "coffee" en anglais, sur le modèle de *bhrater -> brother.
Enfin, Demoule insiste constamment sur la pauvreté de la vision purement arborescente, mais pourtant il est réticent vis-à-vis des notions de substrats, superstrats et adstrats qui pourtant enrichissent la vision purement arborescente :
p 578-579 : "les différences entre langues indo-européennes ne se laissent pas déduire d'une simple évolution arborescente et ne s'expliquent pas directement. Le "substrat" est donc une explication facile, d'autant plus facile qu'elle est invérifiable ; mais nous avons vu qu'il était régulièrement requis en cas de difficulté. (...) En fait, la question des "substrats" est avant tout à prendre comme un symptôme des difficultés à construire un Stammbaum cohérent des langues indo-européennes."
Quelle cohérence y a-t-il dans une telle position ? Les notions de substrat, superstrat et adstrat permettent, en sacrifiant le principe secondaire d'unicité de la langue mère, de "sauver" l'essentiel de la théorie indo-européenne, l'idée d'une langue et donc d'un peuple indo-européen, et c'est peut-être ce qui déplait à Demoule. Je sens en lui une intention préétablie de démolir cette idée.
Pourquoi vouloir démolir l'idée d'une langue et d'un peuple indo-européen ? Il y a peut-être un autre argument plus valable que les arguments linguistiques, bien qu'il ne soit pas très satisfaisant intellectuellement parce qu'il s'apparente à une "reductio ad hitlerum". (Reductio ad Hitlerum est une expression ironique construite comme un jeu de mot sur l’expression latine reductio ad absurdum (une proposition que se "réduit à l'absurde" est fausse) et signifiant que "ce qui se réduit à Hitler est faux". désignant le procédé rhétorique consistant à disqualifier les arguments d'un adversaire en les associant à Adolf Hitler ou à tout autre personnage honni du passé. Plus généralement, le procédé consiste à assimiler l'adversaire ou ses arguments à des idées, philosophies, idéologies détestées, par exemple en les qualifiant de nazies ou de fascistes.)
C'est vrai que l'idée indo-européenne pose un problème. La théorie de l'indo-européen est récupérée par des groupes d'extrême droite racistes qui font le raisonnement suivant :
Question : Où faut-il s'arrêter dans ce raisonnement dangereux ? Demoule pense qu'il ne faut même pas aller jusqu'à l'étape 1. Les racistes vont jusqu'à l'étape 5.
QQ Citations - http://qqcitations.com/citation/146235 Source: Jean-Paul Demoule, juillet 1999, dans Destin et usages des Indos-Européens, paru Mauvais temps, N°5, juillet 1999. QQ Citations - http://qqcitations.com/citation/146235 http://www.anti-rev.org/textes/Demoule99a/
“L'indo-européanisme tient une place importante dans l'imaginaire racial des extrêmes droites, en particulier en Allemagne. Thème dominant de la Nouvelle Droite contemporaine, cette construction à prétention scientifique n'est que le véhicule de la quête infernale de la pureté de la race."
"La notion d'une famille de langues apparentées semblait impliquer nécessairement l'idée d'une langue originelle (en allemand Ursprache), parlée un jour par un peuple originel (en allemand Urvolk), quelque part dans une patrie originelle (en allemand Urheimat). (...) Cette hypothèse d'un peuple originel a conduit aussi, on le sait, à l'idée d'une supériorité raciale originelle des IndoEuropéens, qui eut son tragique aboutissement dans le génocide juif perpétré par les nazis. En effet, s'il y avait eu un jour une race primordiale que son destin avait conduit à conquérir le monde, mais aussi à s'abâtardir au contact des populations soumises, cause de tous les malheurs du moment, il convenait de restaurer par tous les moyens la pureté des origines."
"Le modèle indo-européen n'est pas neutre, et le nazisme, comme l'extrême droite en général, en sont le débouché naturel.” ―Jean-Paul Demoule
On peut s'interroger sur l'opportunité de ce genre d'argument. En effet, invoquer le fait que la vérité d'une certaine théorie n'est pas souhaitable est, paradoxalement, un argument en faveur de la vérité de cette théorie, car il jette un soupçon sur la véritable motivation des arguments contre cette théorie.
La théorie indo-européenne n'est certes pas assimilable à elle seule aux idéologies racistes et nazies mais elle est néanmoins un de ses éléments constitutifs. Je n'irais pas jusqu'à dire comme Demoule que le nazisme et l'extrême droite en sont le débouché naturel, mais ils en sont des débouchés possibles. Que faire face à cette situation ? La science doit-elle chercher la vérité des faits et la diffuser quelles qu'en soient les conséquences, ou doit-elle parfois occulter celle-ci, ou la réserver à des initiés soigneusement sélectionnés, comme les connaissances ésotériques des sociétés secrètes, et pour le grand public poser comme vérité ce qui est préférable d'un point de vue éthique ? Faut-il falsifier la réalité des faits quand celle-ci est potentiellement dangereuse ? Faut-il sacrifier le Vrai sur l'autel du Bien ? Est-ce ce que Demoule a fait avec son livre "Mais où sont passés les indo-européens ?" ? Ou bien des considérations idéologiques ont-elles faussé son jugement ? S'il considère que le nazisme est le débouché naturel du modèle indo-européen, la fausseté de ce modèle est beaucoup plus souhaitable que sa vérité. Peut-il émettre un jugement objectif dans ces conditions ? Ne serait-il pas préférable d'admettre la théorie qui semble la plus plausible sur le plan strictement linguistique tout en rejetant ses extrapolations racistes, commencer par réfuter les arguments des partisans de la théorie de la race supérieure aryenne, pour pouvoir ensuite faire de la linguistique sereinement et objectivement ?
On peut en effet contester les extrapolations racistes du modèle indo-européen sur bien des points. Rien ne prouve qu'une éventuelle supériorité d'une civilisation indo-européenne soit d'origine génétique plutôt que culturelles. Ce sont peut-être les circonstances du lieu et de l'époque qui ont amené une population à développer une civilisation et une langue évoluées ainsi que les qualités qui lui ont permis de conquérir de vastes territoires. Et même si le facteur génétique avait joué un rôle à l'époque, le monde ayant beaucoup changé depuis, des caractères qui étaient favorables peuvent être défavorables aujourd'hui. La diversité génétique est une richesse pour l'humanité. De plus, étant donnés les mélanges génétiques qui ont eu lieu depuis l'époque où les indo-européens se seraient répandus en Europe, l'idée de retrouver la pureté de la race originelle me parait illusoire.
D'un point de vue linguistique, le modèle d'une langue originelle commune me parait être celui qui explique le mieux les ressemblances entre les langues indo-européennes au niveau du vocabulaire et surtout de la grammaire qui constitue un tout cohérent. Il reste néanmoins des mystères à éclaircir, notamment le fait qu'on n'ait pas trouvé de traces archéologiques de migrations des indo-européens. Il est également curieux que, contrairement aux outils qui se complexifient au cours du temps, il semblerait que les langues indo-européennent évoluent au contraire vers de plus en plus de simplicité, notamment en ce qui concerne les congugaisons et les déclinaisons, ce qui cuurieusement se semble pas avoir attiré l'attention des chercheurs. Ces mystères soulèvent des questions sur la nature d'un éventuel peuple indo-européen, sur ses déplacements et sur la diffusion de sa langue. Pouvait-il être tellement discret qu'il n'aurait laissé aucune trace archéologique ? Ou bien est-il possible que la langue se soit diffusée de proche en proche sans déplacement de population ? Etait-il beaucoup plus avancé culturellement que les autres peuples, et aurait-il élaboré une langue d'une complexité adaptée à son niveau de développement mais trop compliquée pour les autres peuples qui l'auraient simplifiée ? On peut aussi s'interroger sur les raisons qui ont fait que le peuple qui parlait cette langue aussi élaborée n'ait apparemment pas ressenti le besoin de l'écrire.
Pour les recherches futures, la piste qui me parait la plus prometteuse est celle qui consiste à privilégier l'hypothèse d'une langue originelle commune tout en continuant les recherches pour expliquer son mode de diffusion et d'évolution, et bien sûr en évitant toute extrapolation simpliste basée sur des considérations idéologiques.
Références :