Café philo du mercredi 23 janvier 2002 au Bar des Oiseaux à Nice
Sujet proposé par François : Peut-on être sûr de la vérité
Animé par Bruno Giuliani
Autres sujets proposés
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- Critique et analyse
- Pourquoi apprend-on à redouter de douter ?
Résumé du débat
- François : De plus en plus le souci de vérité est occulté, on passe directement à la défense de la vérité.
- Bruno : Il y a 2 questions : la méthodologie pour atteindre la vérité, et pourquoi on ne s'intéresse plus à la vérité.
- François : Il y a des tas de raisons.
- Bruno : Il y a quelques milieux, philosophiques, scientifiques, qui sont attachés à la recherche de la vérité.
- La relativité est dans la vérité, il n'y a pas de vérité absolue.
- Bruno : Il faut s'entendre sur ce qu'on entend par vérité.
On peut avoir une autre opinion concernant le caractère non relatif de la vérité.
- La vérité c'est ce qui réussit.
- Kiko : On ne voit qu'une partie des choses.
- Bruno : Ca concerne la connaissance.
- Kiko : Je construis la partie que je ne vois pas.
- Jacques : Il faut distinguer entre vérité abstraite, mathématique, et vérité concrète, physique. Déja dans les mathématiques, il y a plusieurs conceptions. Les platoniciens croient en l'existence d'un réel mathématique indépendant de l'esprit humain.
- Bruno : Dis-nous plutôt ce que tu penses.
- Jacques : Je pense que les désaccords proviennent souvent de désaccords sur le sens des mots. On croit utiliser des mots dont le sens est clair, mais il n'est pas toujours le même pour tous. C'est vrai dans les domaines abstraits comme dans les domaines concrets. De plus, dans ces derniers, on énonce des vérités relatives non pas au réel lui-même mais à un de ses modèles abstraits. Une phrase peut être vraie dans certains modèles et fausse dans d'autres. Et ces modèles peuvent être tous compatibles avec notre perception. Par exemple, on considère généralement le fait que la Terre tourne autour du soleil comme une vérité absolue, alors que ce n'est qu'une vérité relative au modèle héliocentrique, mais qui est fausse dans le modèle géocentrique. Ce n'est que relativement au critère de plus grande simplicité que le modèle héliocentrique est supérieur au modèle géocentrique, dans lequel les trajectoires des planètes sont très compliquées.
- Bruno : N'y a-t-il pas certaines certitudes ?
- Jacques : Si on va au bout du doute, on se heurte à des limites, comme l'a montré Descartes.
- On ne peut pas remettre en cause une théorie qui permet de prévoir et d'envoyer des fusées.
- Bruno : On peut reformuler toute la théorie avec la Terre au centre.
- Jacques : Et pour quelqu'un qui ne s'intéresse pas à prévoir ou envoyer des fusées, la théorie héliocentrique n'a pas d'avantage.
- Un moyen d'accéder à la vérité est l'intuition, un sentiment de vérité instantané, tu sais que c'est l'action qu'il faut au bon moment.
- Bruno : Est-ce qu'on est dans le vrai quand on est dans l'intuition ?
- Kiko : Une intuition peut être fausse.
- Bruno : Comment faisons-nous la distinction entre ce que nous pensons être vrai et ce sur quoi nous avons un doute ?
- Pendant des années j'ai utilisé le mental, jusqu'à ce que j'ai découvert que mon intuition avait raison.
- François : La vérité s'oppose au mensonge. Personne n'en parle.
- Je ne conçois la vérité que dans le doute. Je trouve ma vérité dans le regard de l'autre. Les vérifications personnelles débouchent sur l'action qui vient de ma vérité, mes convictions propres, résistance à ce que je considère comme pas bon, mon éthique personnelle, le doute permanent. L'homme est faillible.
- Ce qui est vrai au temps t n'est pas vrai au temps t+1.
- Bruno : La définition classique c'est que la vérité est indépendante de qui pense et du temps. Il sera toujours vrai que le verre a été vide à ce moment là.
- La vérité indépendante de qui pense, ça s'appelle la dictature.
- Bruno : Vous traitez Platon, Aristote, Spinoza, Leibniz de dictateurs.
- Je ne supporte pas la vérité collective.
- Bruno : Elle n'est pas collective, elle ne dépend pas des croyances individuelles.
- Qui l'enseigne ?
- Bruno : Je me méfie des sujets qui attisent les passions.
- La recherche de la vérité se fait de manière empirique. Chacun teste.
- La vérité est relative.
- Bruno : On ne peut parler de vérité que si le discours est précis.
- Newton avait approché 99% de la vérité. Einstein a approché 1% du 1% restant. Ce n'est pas une négation mais un complément de la vérité.
- Selon Teilhard de Chardin, c'est une cohérence locale de l'univers par rapport à chaque point de lui-même.
- Guillaume d'Occam met en cause les idées universelles. On ne peut uniquement être dans le domaine de l'idée. Il y a la notion d'erreur, on ne peut l'exprimer par le discours. Le discours s'arrête par manque d'information du réel.
- La parole est une simulation de tous les types d'actions.
La parole est notre simulation du réel.
(pause)
- Chacun est enfermé dans son propre système de concepts.
Ce qui m'émeut beaucoup c'est Simone Weil, sa réflexion sur la liberté et l'oppression sociale, Viviane Forester, "L'horreur économique", "Du trop de réalité".
Dans les situations explosives comme en Argentine, il est difficile de dire ce qui se passe. Une bonne connaissance de l'histoire permet de bien en parler.
- Bruno : Tu proposes un nouveau critère. On a parlé de l'intuition, un critère pragmatique, tu dis "j'ai le sentiment que c'est vrai car elles parlaient d'une manière qui m'a touché, émue".
- Yves : Il y a trop de réalités confuses pour qu'on arrive à dire quelque chose de vrai.
- Bruno : Tu proposes alors la clarté opposée à la confusion, c'est l'idée de Descartes.
- Sylvie : La référence absolue est mon corps. Je sais que je suis dans le vrai parce que mon corps le dit. Ce que nous appelons le vrai, pour les bouddhistes c'est l'illusion. On peut dire une chose et son contraire et que les deux soient vrais, sinon on propose la vérité comme une transcendance.
- Bruno : C'est la position épicurienne et phénoménologique.
- J'ai pris une décision, le matin suivant j'ai eu un mal de tête, le lendemain j'ai annulé, je n'ai plus jamais eu de mal de tête. J'ai compris que j'ai fait une erreur, j'ai pris une décision qui ne collait pas.
- François : J'ai un critère qui ne va pas plaire. Je suis dans le vrai parce que j'explique aux gens pourquoi ils sont dans le faux. Si chacun a sa vérité ça annulle la notion de vérité. Ce critère est subjectif mais si les gens m'écoutent de bonne foi ça marche.
- Bruno : Le critère de Popper c'est que tout ce qu'on peut faire c'est rechercher l'erreur.
(...)
Quels sont les moyens de s'assurer qu'on est dans le vrai ?
- Réalité vient de res, lachose. Il est beaucoup plus facile de concevoir ce qui est vrai quand il s'agit de choses. En matière intellectuelle, affective, politique, la notion de vrai me semble perdre de l'importance par rapport à la notion de bien, de juste.
- Bruno : Il est d'autant plus difficile de porter un jugement quand la réalité est complexe. Est-ce que la démocratie est préférable à la dictature ? Ca met en jeu des critères complexes, en psychologie, en art...
- Quand je suis dans le doute, ce n'est pas toujours agréable, mais c'est mieux que de tomber dans l'illusion. Beaucoup refusent de rester dans l'incertitude, préfèrent s'accrocher à n'importe quelle vérité qui est une illusion, certains tombent dans des croyances qu'ils prennent pour la vérité.
- Il faut vérifier en permanence. Je me méfie des vérités collectives. On nous assène des contre-vérités. Le problème c'est que personne ne vérifie rien. La vérité est une statistique pour moi.
- Bruno : Il faut réserver le mot vérité aux vérités. Le reste c'est des affirmations, des croyances.
- Est-ce qu'on peut faire la distinction ?
- Le philosophe doute sans cesse.
- Est-ce qu'il n'y a pasdes phrasessur lesquelles personne ne peut douter ? Le besoin d'amour.
- Bruno : Est-ce que l'unanimité est un critère de vérité ? Si 50 millions de personnes pensent une bêtise ça reste une bêtise.
(...)
- Bruno : Le réel n'a de sens que s'il est sensible.
Le seul monde réel est le monde sensible.
(...)
Souvent on énonce une vérité qui ne porte pas sur la réalité mais son interprétation, sa représentation.
On dit il y a un soleil parce que je le sens. On ne peut parler du soleil réel mais que du soleil sensible.
- Sylvie : J'affirme que la dictature est mauvaise, pour tous. Je me trompe, d'autres affirment l'inverse.
- Bruno : Ce n'est pas que tu te trompes, tu esen désaccord.
- Sylvie : Comment je peux être sûre ?
- Bruno : La dictature c'est l'imposition à l'autre par la force.
- Carole : Est-ce que c'est uniquement une question de vrai ou de faux ? En mathématiques il y a la théorie de l'indécidable, le théorème de Fermat. Il n'existe pas que deux conditions. La porte n'est pas ouverte ou fermée, elle peut être entrouverte.
- Bruno : C'est plutôt qu'on ne peut pas connaitre.
- Certaines notions qui ont été indécidables sont maintenant décidées.
(...)
Nos concepts ne sont pas assez puissants pour représenter le réel. Nous ne pouvons atteindre du vrai que dans certains domaines. Quand il y a du mouvant on ne peut pas avoir de notion de vérité. Toute une partie du réel échappe à notre pensée conceptuelle, c'est possible que ce soit l'essentiel.
- Montrer la cohérence des mathématiques par les mathématiques est un gros échec, selon Gödel.
On ne peut pas savoir en l'absence d'informations s'il y a vérité.
- Il est difficile d'avoir la vérité par rapport à un contexte social immédiat, par exemple le problème entre les médecins et le gouvernement. Chacun est dans une position qui occulte la vérité. Il y a plus de malades à cause des boulots monotones, et il y a plus de personnes âgées. Les médecins sont accusés de défendre leurs privilèges. Ils accusent le gouvernement de ne pas être crédible.
- Annie : De nombreuses fois on se fourgue avec la soi-disant intuition. J'ai rencontré des collègues qui se sont marié et ont divorcé, persuadés qu'ils refaisaient un autre bon choix.
- Bruno : L'intuition n'est pas la certitude absolue. La certitude absolue c'est "cette personne est la femme de ma vie". Ca ne peut pas être une intuition. L'intuition est ce qui résiste à l'épreuve du doute.
- Du point de vue de la PNL, on ne peut faire de mauvais choix pour soi-même. On est tous dans la vérité. Est-ce qu'on n'est pas tous une partie de la vérité ?
- Bruno : On ne fait que des mauvais choix contre soi-même.
Il me semble que ce critère est très dangereux.
- Carole : La seule constance c'est le changement.
Prochain sujet : Comment résister à la tentation de s'identifier au groupe, conserver son autonomie, sa singularité, son identité ?