Café philo du jeudi 21 septembre 2000 au Courant d'Air à Marseille animé par Pierrot Discussion sur un texte extrait de "Pour une utopie réaliste" d'Edgar Morin Utopie réaliste, politique économique... p 257 "Il y a une phrase que j'aime beaucoup crier. Ce n'est pas "la lutte finale", c'est "la lutte initiale". Je dirai presque "la lutte avant la lutte initiale". Ce sont les préliminaires même à la lutte initiale. Pourquoi ? Parce qu'il faut une formidable reconstruction intellectuelle, il faut, je crois, une réforme de pensée, il faut se montrer apte à affronter le défi de l'incertain, et il y a deux façons de l'affronter. La première, c'est le pari : nous savons clairement ce que nous voulons, ce que nous souhaitons, nous parions dessus même si nous craignons que nos idées soient vaincues ; la deuxième, c'est la stratégie : autrement dit, la capacité, en fonction des informations reçues et des hasards, de modifier notre façon de marcher. La résistance n'est pas purement négative. Elle ne consiste pas seulement à s'opposer à des forces oppressantes, elle prépare les libérations. C'est l'exemple polonais, c'est l'exemple soviétique, c'est l'exemple de la France occupée. La résistance a une vertu en soi. Nous sommes condamnés à résister. Ce que j'appelle "le vivre", c'est non seulement vivre de façon poétique, c'est aussi savoir résister dans sa vie. Ecoutons Héraclite : "Si tu ne cherches pas l'inespéré, tu ne trouveras pas." Nous revenons à cette idée de l'impossible possible, qu'il faut approfondir. Depuis le début de notre réunion, nous disons que la terre devrait être le jardin commun de l'humanité. Or ce qu'il y a de très beau dans le jardin, c'est la coopération entre la nature et la culture. Le jardin, c'est là où les deux coopèrent au lieu de s'entre- détruire. S'y développe le copilotage de la nature et de la culture. Dans l'humanité aussi, les forces conscientes et les forces inconscientes doivent coopérer. Civiliser la terre, en faire un jardin, c'est une tâche gigantesque. Nous n'en sommes qu'au début.Nous n'avons même pas la conscience de cette patrie terrestre. Candide se retirait du monde en disant : "Je vais cultiver mon jardin." Aujourd'hui, avec le nou- veau Candide, il faut dire : "La perspective est assez belle, essayons de cultiver notre jardin."" Résumé des interventions : - Pierrot : Il faut éviter le prêt-à-penser - Gilbert : Il n'y a pas que le pari et la stratégie, il y a la voie médiane. La déséspérance : c'est ce qu'il faut, ne pas être dans l'espérance qui est souffrance de ne pas avoir ce qu'on veut. Candide dit "moi je n'ai rien à foutre des autres pourvu que je cultive mon jardin". - Jacques : Je verrais plutôt une double opposition : pari / prudence et stratégie / obstination. La difficulté est de trouver le juste milieu. - Gestion ou objectifs de fond ? Il faudrait qu'on discute des buts de la vie. - Jacques : Le problème est que les différents individus donnent des réponses différentes à ces questions fondamentales. Ce ne doivent pas être des choix de société mais des choix individuels. Le rôle de la société doit se résumer à permettre à chacun de réaliser ses buts. - Ce qui caractérise notre époque, c'est la vitesse. Autrefois on agissait pour 5 générations à l'avance, aujourd'hui est-ce qu'on fait des paris sur l'avenir ? Cultiver son jardin et après moi le déluge. - Est-ce que la rationalité peut rendre compte d'un mode de vie ? En raison du hasard on ne peut pas savoir ce dont sera fait demain. Levi Strauss parlait de sociétés chaudes et froides. Le hasard était ritualisé. - Même si la société change très peu, on ne peut tout rationaliser. La flèche du temps est faite comme ça. - André : On ne peut penser, donner du sens, on ne peut que gérer le quotidien. - Claire : C'est grâce aux erreurs qu'il y a des évolutions. L'espoir ne vient pas du politique. - Le politique doit représenter une inertie tellement forte que le politique a toujours du retard. S'il se met en avance, il ne représente plus. Le politique est condamné à gérer. S'il anticipe en se déconnectant de la représentation qu'en a la société, il n'est plus en phase, il n'en est plus le représentant. - Claire : Le politique est tellement pris dans la gestion qu'il oublie qu'il représente et que pour gérer on doit anticiper. Je ne crois pas à de grandes tables où on pourrait parler d'idées avec la diversité des gens, mais je crois en des gens qui pourraient représenter quelque chose d'utopique. Il y avait des courants, il n'y a plus de courants. Gilbert : On risque de faire fausse route. Soit le texte s'adresse au collectif, soit il s'adresse à l'individuel. S'il s'adresse au collectif, je le prends et je le jette car c'est creux. On sait que ça ne fonctionne pas, ça n'a pas marché. S'il s'adresse à moi, il me parle. Si je veux faire changer les choses, il faut que je me change. Galaad cherche le Graal, il abandonne et là il le trouve. On trouve l'inespéré en arrêtant de le chercher. - Dans les cités grecques la règle de vie en société était limitée à un petit territoire. On met en place des règles au niveau de la planète (le GATT). Gilbert : Tout ce qui a été rassemblé (Union Soviétique ...) on le divise. Aux USA il y a des sociétés claniques. - Il faut ramener un minimum de cohérence entre conscient et inconscient. On essaie de reculer certaines limites de la connaissance basée sur le discours ou d'autres méthodes qui essaient de ramener la cohérence et diminuer la souffrance qui est liée à des contradictions. On a la mise en place de sectes, modes de pensée qui proposent de résoudre la souffrance, vivre mieux. - Pierrot : Est-ce qu'on n'est pas dans le prêt-à-penser ? - Jacques : Un exemple de pensée toute faite est la mondialisation. On nous dit qu'on ne peut pas l'éviter.Si on le voulait, on pourrait rétablir certaines frontières. Le problème vient du décalage entre de très grandes différences de niveaux de vie et une grande liberté de circulation des entreprises. On pourrait rétablir des taxes à l'importation qui permettraient d'aider les pays en voie de développement. Chaque peuple a sa personnalité, les lois doivent être le reflet de cette personnalité. Il peut y avoir une coordination internationale uniquement pour éviter les conflits et prendre des décisions uniquement dans les domaines où il est justifié de prendre une décision à un niveau international. Gilbert : la lutte initiale : qu'est-ce qui va faire craquer l'alumette qui enflamme la forêt ? On délègue tout. - On se dit en tant qu'homme, le plus intéressant c'est l'espace public, on existe fortement dans cet espace. Les maghrébines sont fières de leur espace privé où elles vivent bien sans les mecs. - C'est la contrainte, l'habitude qui fait qu'elles se satisfont de ça. Claire : On rend vite public quelque chose de privé. Il y a des femmes qui ne sont pas heureuses dans l'espace privé. - Cette question public / privé s'est toujours posée. Il y a des gens qui vivent l'extériorité tout le temps. Au niveau de l'intériorité il ne se passe rien. Il n'y a pas grand chose derrière. Gilbert : Le marseillais avait une vie publique et une vie privée derrière des murs de 3 mètres 50. On a cette culture méditerranéenne de l'espace privé. - Ouvrir pour ne pas s'enfermer dans ses idées, même si nous craignons que nos idées soient vaincues. - Un de mes amis d'enfance a choisi de ne pas prendre de risque, rester sur place, prendre un métier répétitif où les choses changent peu. Il s'est retrouvé en grande dépression. Tout s'était bien passé sans sortir du cadre mais une dgradation a eu lieu et il ne comprenait pas. - Il faut affronter le défi de l'incertain