Pouvoir et liberté, à Bruxelles le samedi 20 mai 2000

Animé par Anne et Lê. Thème proposé par André.

[N.D.L.R.: Excusez les passages manquants indiqués par "(...)".]

(...)

• Stéphane : Y a-t-il un lien entre pouvoir et liberté ? Quand on parle de pouvoir on parle de groupe. Il y a le groupe et les éléments du groupe. La liberté du groupe est la somme des possibilités de chaque membre du groupe à avoir du pouvoir, l'entropie.

• Georges G. : Qu'est vraiment la liberté ? Dans la démocratie tout le monde parle de la liberté. On dit que nous avons plusieurs libertés mais quand on essaie d'observer On est toujours dépendant de quelque chose. Quand je suis dépendant des produits de consommation c'est une forme d'esclavage, des chaines invisibles. Quel est ce pouvoir qui donne du pouvoir à ceux qui ont plus de pouvoir sur les autres ?

• Gilbert : (en réponse à une intervention manquante au début)
  Tu dis : tout le monde était esclave, mais ce qui est curieux c'est que personne n'en avait conscience. Le pharaon se considérait comme l'esclave du dieu. Les chaines étaient très subtiles. On était lié à sa terre, on était obligé de travailler. On était aussi lié par toutes sortes d'interdits religieux. Dans chaque province, il y avait un interdit alimentaire différent. Ca a l'air d'être un levier extrêmement puissant pour contrôler la liberté de quelqu'un. Personne ne savait quitter sa province. Il n'y avait pas de chaine ni de barrière, mais dès que tu arrivais quelque part, on ne te connaissait pas, on te proposait quelque chose à manger, tu disais "Ah non, ça je ne peux pas." Les gens n'avaient pas beaucoup de vêtements, ils n'avaient pas de carte d'identité. On avait dans le fond une carte d'identité invisible.

• Raymond : Ca vient des différentes conquêtes des pharaons. Chaque fois qu'ils font des conquêtes, ils regardent quelles sont les règles des peuples qu'ils ont conquis et quels sont leurs dieux et on rajoute tout ça dans la galerie. Moïse dit : "Moi je suis lié avec le seul dieu". Le pharaon lui dit : "Mais parle-moi de ce dieu que je ne connais pas. On va le mettre dans la galerie avec les autres.".
  C'est une formidable force de pouvoir amener les gens, leur dire non pas "Voilà vos règles" mais "Les règles que vous avez, nous allons les intégrer.". Je crois que c'est signe d'une grande intelligence. Il y a peu de perturbations en Egypte par rapport à ce qui se passe ailleurs. En Grèce antique ils ne font que se battre.

• Marie : Pouvoir va avec liberté. On est surveillés électroniquement. C'est politique.

• Gilbert : En Egypte il y avait peu de bagarres. Q une époque lointaine le pharaon avait un pouvoir tel quetout le monde travaillait pour lui. Il n'y avait que lui qui allait au ciel. Puis on a commencé à momifier des gouverneurs, des officiers, puis de proche en proche tout le monde.

• Anne : Le sujet c'est relation entre pouvoir et liberté.

• La liberté c'est très facile. Pour le pouvoir il faut du courage, de la responsabilité.

• Foty : Liberté de pouvoir sur soi.

• Anne : Il faut du courage pour le pouvoir ça me rappelle des sujets que nous avons traités ces dernières semaines.

  (...)

• Anne : Ce n'est pas politique.

• Gilles : Si je développe ma liberté aux dépens de l'autre est-ce que je n'ai pas une attitude de pouvoir ? On ne dit plus le patronat, on dit les entrepreneurs. Tu seras rétribué en fonction de ta productivité quantitative. Nous ne sommes toujours pas en condition de réfléchir pour tenter de lire à penser et non pas d'émettre dans l'immédiateté une satisfaction de sa perception

  (brouhaha)

• Foty : S'il vous plait, excusez-moi, c'est pas une course pour donner la parole immédiatement avant même que la personne ait terminé.

  (pause)

• Anne : Le sujet est : pouvoir et liberté. Quelqu'un a protesté et il faut entendre les protestations. Pour ceux qui ne suivraient pas bien, il y a toujours ceci : la chasse au travail. Nous vivons toujours en démocratie.

• Lê : Si on met en question la politique, il ne faut pas la prendre comme une évidence.

  (...)

• C'est un peu gênant que la personne qui a posé la question ne soit pas là.

• Lê : Oui, il est en bas. (...) Bon, si vous le voulez bien, on reprend le débat. Ca ne vous regarde pas mais je suis extrêmement fatigué.
  Je pense, ce qu'on vient de voir, ceci n'est qu'un exemple d'illustration de ce qu'est le pouvoir. Foty, avec son intervention, qui était presque autoritaire, c'est-à-dire : c'est comme ça, je pense là, de fait, elle essaie d'exercer son pouvoir sur le groupe bien sûr. A son avis, le mode de fonctionnement d'un débat philosophique ... Mais le groupe ne sait pas très bien ce qu'il fait. Si le groupe obéit à son injonction il n'est plus libre. Et je pense, j'aborde le problème, qu'est-ce que c'est le pouvoir, qu'est-ce que c'est la liberté ? On a déja entendu plusieurs énoncés. N'est-pas sans être très, comment dirais-je, sans étayer, sans argumenter par rapport à l'objectif.

• Paul : On avait parlé d'abus de pouvoir, il m'est venu l'idée qu'il y a aussi l'abus de liberté.

• Lê : Oui mais qu'est-ce que ça veut dire abuser de sa liberté ?

• Paul : La liberté n'est pas donnée comme ça d'emblée, on la conquiert.

• Qu'est-ce que ça veut dire conquérir sa liberté. C'est comme si la liberté est une chose, un objet en soi. Qu'est-ce que c'est la liberté ?

• Lê : Je peux essayer de l'énoncer de manière abstraite. (...) Si on peut penser librement c'est-à-dire sans limites, est-ce que cela est possible ? Est-ce qu'on peut penser sans limites ?

• Je ne crois pas.

  (...)

• Lê : S'il était tout seul dans l'univers, sans dieu, sans rien, effectivement il est libre. Qu'est-ce qu'il en fait des 3 autres qu'il a... C'est là, je pense, la liberté pourrait être.

• Il y a des contraintes à la liberté. (...)

• Lê : C'est quoi la non liberté ?

• C'est les contraintes, de devoir vivre tout simplement, avec des contraintes.

• Lê : Et le réel c'est quoi ?

• L'autre.

• Lê : Et l'autre c'est quoi ?

• Anne : On assiste à un accouchement socratique.

• Lê : Nous sommes en train de ramer tout simplement. Si vous voulez bien j'ai une piste. La liberté me semble-t-il pourrait être vivre comme sujet pour quelqu'un. Pour Kant, si quelqu'un subissait une loi, si la loi est imposée arbitrairement par les autres, la personne qui la subit n'est pas libre parce que l'autre exerce un pouvoir. Pour que le sujet soit libre il faut qu'il intègre cette loi comme si elle venait de lui. Là il serait libre.

  (...)

• Antonio : J'ai l'impression qu'on est là en train de faire un amalgame entre deux types de libertés subjective et objective, avoir des conditions dignes de travail, pouvoir s'épanouir. Ca renvoie à la philosophie du boudoir du Marquis de Sade. "Encore un effort messieurs les républicains." Tout le monde a entendu cette phrase. (...) Qu'est-ce que ça veut dire la liberté sans une base économique ? Ce n'est rien du tout, la liberté de quoi ? Ca ne veut rien dire. (...) Dans des entreprises il y a des employés qui sont dans une situation épouvantable (...) La liberté au sens métaphysique, théologique, qu'est-ce que c'est que la liberté, et patati et patata (...) Le mot liberté pour lui n'a pas un sens métaphysique, ça a un sens bien concret, bien réel (...) Il faut que chaque personne puisse exprimer ce qu'il entend par liberté même s'il parle politique. (...)

• Jacques : On a parlé de liberté par rapport aux contraintes. C'est vrai que nous sommes soumis à un certain nombre de contraintes et de déterminations qui restreignent notre liberté, mais je ne pense pas qu'on puisse dire qu'on n'a aucune liberté parce que notre liberté est limitée. A la limite, en poussant à l'extrême, même le prisonnier dans sa cellule est libre de marcher, d'aller et venir, de rester assis, de se déplacer dans les limites de sa cellule. Il a encore une part de liberté. Notre liberté est limitée par les autres et par l'autre qui est en nous. La liberté peut aussi passer par la connaissance de nous-même et de notre mode de fonctionnement, et des autres qui sont en nous et qui influencent nos actions sans qu'on en soit toujours conscients. Si on en devient conscients, on peut savoir, malgré ces limitations et ces influences qu'on subit, quelle peut être la part de vraie liberté qui nous reste, et donc ça peut nous permettre de profiter de cette liberté et donc d'être plus libre. La connaissance de nous-même peut amener la liberté.

• Françoise : Beaucoup de gens passent la plupart de leur temps, de leur vie à la fois en couple et au travail. Eh bien, là où je travaille, quand je demande "Puis-je émettre une idée ?", eh bien le fait qu'on me dit : "Taisez-vous !", dans le lieu où je travaille, on n'a pas le droit de s'exprimer, ou très peu. eh bien, moi personnellement, la politique n'est pas quelque chose qui me touche de près. Le travail est quelque chose qui apporte une charge. Eh bien moi dans le monde du travail personnellement je n'ai aucune liberté parce que la première liberté est de pouvoir m'exprimer (...) évidemment ne pas monopoliser le temps des gens mais s'exprimer tout simplement. Au café philo les animateurs écoutent les participants. Dès lors j'ai l'impression de vivre ici une très grande liberté. Moi dans la vie de tous les jours, au travail, je n'ai pas le droit de m'exprimer. Beaucoup de gens en couple n'ont pas la liberté de s'exprimer, la liberté d'aller et venir, ou bien j'entends des amis "ah, j'ai acheté des ceintures, elles sont super - Tu les as payées combien ? - 600 francs mais j'ai dit 300 francs à mon mari." (rires) Il y a un problème de liberté. (...) Eh bien je crois que manifestement la caissière de supermarché, elle a finalement très peu de liberté. (...) Elle ne peut pas s'exprimer. Dans le monde du travail, on a très peu de liberté. Dans la structure dans laquelle on vit et notamment le couple il y a aussi beaucoup de contraintes. On a l'impression d'être en pays démocratique, mais je suis désolée, vous avez un policier, vous avez votre voiture un peu mal garée. Eh bien vous voulez vous exprimer, vous avez quelqu'un qui va vous écouter, "Oui madame effectivement..." mais combien de fois ces gens vous empêchent, "Taisez-vous !". Nous avons vécu ça. Notre voiture est garée entre deux garages,le voisin d'en face appelle la police parce que il y a une voiture qui est devant son garage (...) La police arrive mais entre temps la voiture qui le gênait est partie. Dès lors je vois qu'il avait déja appelé la dépanneuse. Il charge ma voiture. Je dis "Mais enfin monsieur, pourquoi vous prenez ma voiture. Monsieur a appelé parce que la voiture dérangeait. Ce monsieur vient me voir, il a appelé la dépanneuse pour la voiture de madame mal garée (rires) excusez-moi, vous rigolez, moi je suis de garde à l'hôpital, j'ai besoin de ma bagnole, ça va pas. Madame, on vous prie de vous taire, sinon c'est insulte à agent.". Dès lors je crois que manifestement (...) et le monsieur pouvait dire "Mais moi je n'ai rien à voir avec cette voiture de madame, dès lors vous n'avez même pas l'occasion de donner la version des faits en étant poli. Donc la liberté ...

  (...)

• Lê : Donc tu n'es pas libre, même si tu pouvais illusoirement vivre deux heures de liberté par semaine (...) donc tu n'es pas libre.

• Gilles : Est-ce que tout le monde a bien entendu ? (...) L'ensemble des rapports de quelqu'un, elle intervient, elle demande une enquête, (...) il faudrait partir de l'objet, de la réalité, de la présence de deux personnes. (...) C'est là la question. Et quand je vois donc chacun séparés et quand je les rejoins dans un état de rapport interrogational, là ça donne une responsabilité, ça ouvre la pensée. Et c'est pour cela que concrètement, c'est ça que j'essaie de faire énoncer, mais est-ce qu'on a entendu ça ?

• Anne : En clair c'est qu'on n'entend pas ce qu'on dit.

• (...)

• Lê : C'est pas grave.

• Gilles : C'est le sens.

• (...)

• Viviane : On peut exprimer la liberté dans l'art. (...) Dans le temps du Moyen-Age il y avait beaucoup de problèmes de la religion, de l'extrême-droite qui empêchent les gens à être libres exprimer ce qu'ils ont, et c'est pourquoi l'art exprime ce qui est en toi.

• Lê : Qu'est-ce qui est caractéristique dans l'art ?

• Viviane : L'art est une manière d'être libre.

• Lê : Oui, mais qu'est-ce qui fait la différence entre l'art et la vie banale ?

• Viviane : (...) Avec l'art on sort du quotidien, on est libre. (...)

• Lê : Qu'est-ce que ça veut dire quelque chose de beau ?

• Viviane : Ca veut dire que ... tu rentres de ton travail, tu sens tu es seul, tu prends tes pinceaux, et ce que tu ressens (...) tu prends ton élan ...

• Lê : Qui est créateur.

• Viviane : et tu sors du quotidien.

• Lê : Voilà, la liberté a a voir avec la création.

  [N.D.L.R. : On vient encore d'assister à un accouchement socratique. L'animateur Lê veut faire exprimer ses propres idées (qu'il a parfois tendance à prendre pour La Vérité) par les participants en les orientant par ses questions. Ici il n'y est pas vraiment parvenu et a dû finir par exprimer lui-même son idée. Ne serait-il pas préférable qu'il les laisse exprimer leurs propres idées, et s'il ressent un besoin pressant d'exprimer ses idées personnelles, qu'il le fasse en tant que simple participant en changeant momentanément de casquette ? Il est difficile de se retenir d'exprimer ses idées personnelles, et si on impose à l'animateur de ne pas intervenir comme participant, il risque de faire passer ses idées dans le cadre de sa fonction d'animateur. Il vaut mieux qu'il le fasse en l'annonçant clairement plutôt que subrepticement. J'aimais bien la façon de faire d'Olivier qui, quand il animait et avait quelque chose à dire, levait la main pour se donner lui-même la parole. Sans aller jusque là, l'animateur pourrait introduire ses opinions dans le débat par une expression telle que : "A mon avis", "Je pense personnellement que", ... ]

• Aurore : En société on ne peut éviter certaines contraintes. Nous ne pouvons pas être libres par rapport à cela. Depuis longtemps que nous sommes dans la matière nous ne pouvons pas être libres parce qu'il faut toujours la vivre, il faut toujours voir, il faut toujours penser. (...) Il faut d'abord se connaitre, il faut analyser soi-même, Il faut intégrer certaines lois. Alors nous sommes déja libres. (...) Je fais des échanges et j'accepte que nous faisons partie d'un tout. (...)

• Lê : C'est à dire, on ne peut pas être libre ... en se considérant comme être seul.

• Aurore : Voilà.

• Anne : Etre libre et libre, il faut voir un rapport. Et puis madame n'a pas parlé de création, elle a parlé d'art, c'est différent.

  [N.D.L.R.: Anne déjoue encore la maieutique orientée de Lê. ]

• Lê : Créer quelque chose, c'est être capable de sortir de soi.

• Anne : Penser à l'art était quelque chose d'intéressant.

• La liberté ne peut pas être arrachée au prisonnier qui pense librement.

• Gilbert : Dans les prisons russes le prisonnier n'est même plus libre de penser puisqu'on lui a donné des médicaments.

• Anne : Dès qu'il y a un problème on peut s'engager à parler français. Moi je préférais que le philosophe qui était passé dernièrement [N.D.L.R. : Selon Lê, elle parle de Maurice ] disait que Dieu pouvait s'appeler par exemple "Miam-miam". On comprend mieux en français.

• Antonio : Cette liberté ne pourrait jamais avoir un impact sur l'extérieur. Le fait de vivre en société n'aurait plus aucune raison d'être. (...) Sartre disait : "Je ne suis pas libre quand tout le monde ne l'est pas.". Donc sa liberté impliquait celle des autres et ne l'excluait pas. C'était complètement différent.

• Jeanne-marie parle de liberté de penser et de vivre.

• Lê : Est-ce que c'est être libre ou est-ce que c'est une espèce de leurre ?

  (...)

• Lê : C'est une liberté illusoire. Réellement, il n'est pas libre.

• Jeanne-Marie : Il est libre de penser ce qu'il veut.

• Lê : Oui, comme sentiment personnel, comme sensation, il a la sensation d'être libre, mais il n'est pas libre réellement.

• Jeanne-Marie : Il n'est pas libre physiquement.

• Lê : Je pose la question : est-ce que cette liberté là est une vraie liberté, ou bien est-ce que c'est une liberté ... truc (...) Est-ce qu'il est encore libre tout en étant enfermé par le pouvoir extérieur ? On l'a enfermé. Ma question est très simple : est-ce que c'est une liberté réelle ? Est-ce qu'il intègre le fait d'être enfermé en prison ?

  (...)

• Marie : Il y a des gens qui supportent l'expérience. Pourquoi est-ce qu'il y en a d'Auschwitz qui en sont sortis ? Parce qu'ils avaient la force, ils avaient confiance.

• Lê : Il ne faut pas confondre la réalité et la sensation d'être libre. Qu'est-ce que c'est une réalité libre et une sensation d'être libre ? Est-ce que les notions sont identiques ?

• Il y a liberté de penser et liberté d'agir, c'est deux choses différentes.

• (...) Quand on parle ici de manière triviale, on dit "Madame est française" (...) (...)

• Véra : La seule liberté est de pouvoir se réunir dans un café philo et penser philosophiquement. (...) Et c'est comme ça que les gens arrivent petit à petit à faire bouger les choses.

• Maurice : (...) Trois interrogations :
  • 1) Est-ce que le problème de la liberté par essence n'est pas une fiction ? Dans la mesure où on est ici devant une opposition nette entre d'un coté le réel et de l'autre coté la création. Et en ce moment là, le problème du pouvoir est en même temps posé. Et de l'autre coté le problème de la création de celui qui est en phase avec les évènements du quotidien et qui veut transcender ces évènements du quotidien
  • Deuxième interrogation : cette opposition nette, est-ce qu'elle ne pose pas en même temps le problème de la langue ? Parce que en ce moment là le problème qui est posé est aussi le problème du sens et le problème du fond et de la forme. (...) Alors en ce moment là il y a le nouveau roman en France qui a mis en place cette procédure.
  • Troisième interrogation : (...) Je dirai simplement ceci : est-ce que vous pouvez parler et surtout faire écouter ici les conditions dans lesquelles vous avez tenu vous discours donc les conditions par rapport à l'autre (...) une façon d'aborder les choses autrement. (...) L'autre problème qui serait proche de la liberté ce serait (...) la perception par rapport à la langue. Dans l'univers dans lequel on se trouve, le mot liberté correspondrait au mot pression, parce que en ce moment là on se dit, c'est un problème de communication. Est-ce qu'il est en train de m'écouter ou pas ? S'il est en train de m'écouter c'est que c'est quelqu'un de respectueux. Et s'il n'est pas respectueux, (...) et il ne partira pas avant que la parade soit terminée, et que en même temps si on ne boit pas, c'est ça les conditions d'énonciation, est-ce qu'on peut parler sans nettoyer la gorge ? (rires) (...) Avant d'interrompre la parole, il a donné son avis (...) que chacun puisse nettoyer la gorge, et en nettoyant la gorge, au même moment elle pourra respirer la qualité je dirais au niveau de ses propres mots. Il faut tourner plusieurs fois sa langue dans sa bouche. Je terminerai là, [N.D.L.R. : généralement quand il dit ça, ça veut dire qu'il n'en a plus que pour 5 minutes ] c'est aussi l'art de la manipulation. Je dirai en ce moment là, quand on prend la parole, et que on exprime véritablement ce qu'on a de liberté ou de respect aussi, c'est aussi de la capacité de dire à l'autre "Tu es en train de mentir" l'argument contre quoi il cherche une fuite en venant de mentir et en même temps sans que je (...) parce que c'est ça le combat en fin de compte (...) que l'autre ne puisse pas lever son arme et en ce moment là on puisse le battre (...) Toute la problématique de la non violence a été posée par exemple en Afrique en particulier parce que de l'autre coté il y avait un récepteur je dirais (...) qui avait mis Nelson Mandela en prison (...) et en même temps là aussi ce qui a été bâti (...) et à partir de ce moment là, le fait qu'il puisse user de la non violence, (...) les blancs utilisaient la séduction il y avait en ce moment là unilatéralisation, le monde était en phase avec cette façon particulière de discuter. (...) S'il avait agi de la même manière vis à vis des noirs ça n'aurait rien changé parce qu'il n'y aurait pas eu une sorte de dénominateur commun. Notre tradition de non violence n'a pas le même effet. Enfin laisser en ce moment là au monde anglo-saxon les conditions d'énonciation que le dialogue était dans ces conditions là émis. Vous me mettez moi en prison, je sors, je tue, même si j'ai bu. La réaction c'est le plan symbolique. (...) La première démarche ce sera d'abord de le tuer. Mais c'est aussi le problème de conditions d'énonciation, de telle manière qu'on puisse parler aussi le même langage, et à partir de ce moment là, le problème de la liberté, le dialogue peut se mettre en place.

  • Anne : Ici on ne risque pas de trop parler, puisqu'il n'y a pas trop de liquide sur place, il fallait d'abord boire de l'eau de la forêt.

  • Lê : Pour résumer ce que tu as dit, pour rebondir, (...) on doit être en condition d'énonciation et ceci (...) de façon volontaire au langage. (...) Quand il sort de prison il découvre l'autre donc le je n'est plus seul. De toute façon le je n'a aucun sens quand on est tout seul. (rires)

  • Viviane : La plupart sont craintifs par rapport à la liberté. La liberté demande de la solitude, du vide. Ca fait peur. (...)

  • Antonio : (...) Cette façon de penser là peut être dangereuse dans ce sens où implicitement on peut reconnaitre qu'il faut qu'il y ait des camps de concentration pour que les gens soient en compétition pour savoir qui sont les plus forts. Or il ne s'agit pas là d'une compétition sportive pour autant que je sache, il s'agit bel et bien de politique. Je voulais encore dire deux mots là-dessus. Par exemple j'ai vu il y a peu de temps un réunionnais qui plaidait (...) la compagnie de diamants multinationale (...) dégats de toutes sortes économiques etc... (...) Vous voyez bien, tout est axé sur l'intériorité. on peut s'en tirer (...) à mon avis c'est très dangereux. (...) Pour vivre en société il faut un minimum de contrainte. (...) ou on parle des pulsions sexuelles, c'est une réalité, la nature a ainsi fait les choses, je n'y peux rien (...) se masturber, en réalité même sa réalisation amoureuse (...) ne sont que des hypothèses qui passent par la masturbation (rires) donc c'est une fausse liberté, c'est une liberté qui tue, parce que pour être libre ça doit (...) contact avec les autres.

  • Gilbert : Alors moi je voulais vous raconter quelque chose d'étrange. En écoutant les récits donc de personnes en prison, je me suis rappelé quelque chose que j'ai lu il y a très longtemps avant de m'intéresser à l'Egypte, je m'intéressais au bouddhisme tibétain. Et là on décrit une expérience (...) les moines tibétains et qui consiste à faire ce qu'on appellerait ici une retraite quelque part dans un petit monastère quelque part dans la montagne en isolation sensorielle totale. (...) Même la nourriture est passée par un espèce de sas. (...) Plus de lumière, plus rien. Il le fait volontairement. Au début l'isolement sensoriel crée des problèmes. Il a des flashs lumineux de tous les cotés, alors qu'il fait absolument sombre, et on dit que ça dure comme ça pendant un certain temps. On finit par entendre des bruits qui n'existent pas. On voit quelques dessins lumineux et on se demande qu'est-ce que c'est. Finalement il faut un temps extrêmement long de méditation, de technique que les moines utilisent, pour arriver à se libérer de tout ça et on dit que celui qui sort de tout ça après 7 ans d'isolation sensorielle totale prétend avoir découvert la liberté. C'est à mon avis une liberté très spéciale (...) qui permet à l'intérieur d'un bâtiment en pierre isolé, ca donne à celui qui est là dedans le pouvoir de circuler à l'extérieur d'après ce qu'il dit je peux sortir, je peux voir les gens, tel bâtiment a brulé, et pourtant il est resté 7 ans là dedans, comment il le sait ? Voilà un exemple où on découvre une liberté très spéciale dont on n'a peut-être pas parlé.

  • Lê : Cette liberté en relation avec Marie, Marie en a parlé tout à l'heure. Il est libre d'être, donc il est libre. Qu'est-ce que c'est ça ?

  • Gilbert : Mais non, ils disent qu'ils ont l'impression de pouvoir circuler à l'extérieur, comme si ils circulaient vraiment à l'extérieur.

  • Lê : Cette liberté là d'où elle vient ? Quel sens ? qu'est ce que c'est (...)

  • Gilbert : Ca m'a fasciné aussi très fort à une époque.

    Françoise : Pour moi je vais dire, la privation totale de liberté serait telle que d'être empêché d'aller où on veut, d'être en prison (...) pouvoir penser. Et d'autre part je vais dire que une gamine qui a subi depuis l'âge de 10 ans jusqu'à l'âge de 20 ans a subi les sévices de son père et elle est majeure et décide de tuer son père. (...) et se retrouve privée de liberté en prison mais elle à ce moment là peut-être qu'elle se sent plus libre bien qu'elle soit enfermée parce qu'elle est libérée de quelque chose qui était pour elle autre chose qu'une prison et là je ne sais pas, je n'ai jamais été violée par mon père mais par rapport à ce que disait Marie je crois que c'est un peu dans ce sens là, c'est que la prison pour certaines personnes est peut-être plus de liberté que la vie.

  • Bruno : Je trouve que l'absence de liberté est un scandale absolu (...) le manque de liberté intérieure, et puis aussi le manque de liberté objective, la situation économique, politique, etc... et moi je trouve qu'il faudrait mettre au point un programme politique absolu qui libère les personnes à la fois sur le plan du corps et de l'esprit, que l'on réfléchisse ensemble.

  • Lê : Est-ce qu'on peut libérer les autres comme ça de force sans se libérer eux-mêmes ?

  • Bruno : C'est une provocation pour mettre en évidence le fait que la liberté sur le plan intérieur, politique, l'un ou l'autre me semblent conçus d'une manière assez curieuse. Est-ce que je peux rendre mon voisin libre contre son gré ? Première question. Alors la deuxième question, c''est effectivement est-ce que je peux me servir de l'argument de la liberté intérieure, oublier les limites extérieures, et c'est vrai que c'est quelque chose qui mérite d'être posé, mais est-ce que je peux aussi imaginer les conditions socio-politiques idéales pour permettre l'accès à la liberté de tout un chacun par exemple en sachant que eh bien si je mets un système politique idéal mais qui ne tient pas compte de la mentalité qui est une certaine forme de prison de tout un chacun, il va y avoir un certain frottement entre les deux. Donc la question de poser à priori la légitimité de rendre libre l'autre sur le plan politique aussi bien que sur le plan intérieur pour moi reste problématique.

  • Lê : C'est simplement ça le problème. Ca me vient une définition très simple de ce qu'est le totalitarisme. Vouloir le bien à autrui contre son gré, c'est ça la définition du totalitarisme. C'est exactement comme ça (...) c'est un simulacre de liberté.

  • Jacques : Pour préciser un peu par rapport à ce que disait Gilbert, sur l'isolation sensorielle de 7 ans au cours de laquelle ces personnes avaient l'impression de pouvoir sortir en dehors de l'endroit où ils étaient enfermés, alors il y a différentes traditions ésotériques qui parlent notamment de sortie hors du corps, de voyage astral, etc... C'est une situation qu'un scientifique non conformiste américain qui s'appelle Robert Monroe qui a aussi fait des expériences qui vont dans ce sens, des expériences d'isolation sensorielle avec un procédé qui s'appelle Hémi-Sync, qui consiste à envoyer certaines fréquences sonores dans les oreilles, des fréquences légèrement différentes à droite et à gauche, qui font des interférences de fréquence correspondant aux ondes cérébrales alpha qui correspondent aux ondes qui existent quand on est dans un état de méditation. Et alors donc avec cette isolation sensorielle et ces ondes alpha, il arrive aussi à provoquer des sorties hors du corps. Reste à expliquer ce que c'est exactement que ces sorties hors du corps mais on peut imaginer des explication du style un corps fait de matière plus subtile ou un niveau vibratoire plus élevé ou quelque chose comme ça qui sortirait du corps physique et qui pourrait à ce moment là aller se promener un peu où il veut. D'autre part il y a des expériences qui ont été faites et qui tendent à confirmer une réalité physique à ce niveau là. Une personne s'est allongé dans une pièce, on a mis un détecteur de présence dans une autre pièce, et cette personne est sorti de son corps pour aller dans l'autre pièce et le détecteur a réagi. Et j'ai fait moi-même quelques petites expériences qui vont dans ce sens qui tendent à confirmer qu'il y aurait une sorte de corps plus subtil qui pourrait sortir de notre corps physique pour aller se balader

  • Lê : Illustration à nouveau ... comment on appelle ça ...

  • dédoublement ?

  • Lê : Oui, de la sensation d'être libre. Mais est-ce qu'on peut être libre en faisant abstraction des autres ? La sortie astrale de son propre corps fait que la personne se sent libre. Est-ce qu'elle est vraiment libre ? Dans cette expérience effectivement, elle fait abstraction des autres, parce que les autres n'existent plus.

  • Jacques : Je ne pense pas qu'on fasse plus abstraction des autres quand on sort de son corps que quand on est dans son corps. Je ne vois pas de rapport.

  • Lê : Non, non, non, la sensation d'être libre ici, si quelqu'un se sent prisonnier dans son propre corps, il n'est pas libre. Il arrive à expérimenter la sortie astrale de son corps, il n'est même plus prisonnier de son propre corps, donc il est libre, mais est-ce que cette notion de liberté là rejoint la liberté dont on parle ici ?

  • Jacques : Celui qui est dans son corps, je ne dirais pas qu'il n'est pas libre mais que sa liberté est plus restreinte que celui qui sort de son corps parce qu'elle est restreinte par des facters physiques qui limitent physiquement les possibilités de déplacement de son corps physique.

  • Lê : Ceci rejoint tout à fait l'expérience spéciale de la liberté d'un moine tibétain qui s'enferme 7 ans. Ca rejoint tout à fait l'idée de Marie comme quoi le prisonnier contre son gré arrive à se sentir libre parce qu'il peut penser librement, parce que pour Marie, la liberté c'est être libre dans son être intérieur. Ca pose un problème.

  • Jacques : Oui, tout dépend de l'interprétation que l'on fait de ce phénomène. C'est vrai, certaines personnes pensent que ce phénomène est purement un phénomène de pensée, et que ça rejoint le thème du prisonnier qui pense librement,

  • Lê : C'est pas ça le problème. Non, non !

  • Jacques : La situation est totalement différente.

  • Lê : Il se justifie sur un point technique. Moi je voudrais savoir qu'est ce que c'est la liberté. En posant la condition minimale et impérative pour nous en tant qu'humains on existe qu'avec les autres. c'est à partir de là qu'on peut poser le problème de la liberté. Parce que ton truc marche évidemment si il était tout à fait seul, unique sur Terre.

  • Jacques : Et pourquoi ça ne marcherait pas avec les autres ? Je ne vois pas le rapport.

    (brouhaha)

  • Paul : Je voudrais poser un autre problème. (...) C'est bien de donner la liberté, mais il faut donner les moyens d'assumer. Je crois que là il y a peut-être une autre problématique de la liberté qui doit être prise en compte. (...) La liberté, les gens ne veulent pas. Pourquoi ? (...) Parfois il y a des gens qui sont heureux d'être contraint, bien entourés, d'être enfermés.

  • Lê : Ils ne sont pas libres ces gens-là. Ce sont des prisonniers consentants.

  • Gilles : J'ai noté une phrase. J'ai entendu : je pose la question de la liberté augmentée. Paradoxe. Je dis, je pense, je ne crois pas, je pense, liberté égale histoire de l'humanisation qui développe l'identification de l'autre, de l'intrus, de l'étranger, c'est à dire ce qu'il perçoit extérieur à lui. Je lui dirai, j'ai bien l'histoire, légende, religion, est une tentative de tendre à ce que nous ne pouvons pas comprendre. (...) La rivalité nait d'un autre sur son rapport au monde. Je termine. Tout est très simple, car plus on ralentit, il y a l'impertinence (...)

  • Gilbert : Supposons que j'ai un esclave. Cette personne va dire : "Ah, je suis esclave, je n'ai pas la liberté.". Un beau jour, je vais dire à cette personne : "Ecoute, tu as été correct avec moi, tu es libre.". (rires) Il va me dire "Oui mais où est-ce que je vais dormir ?" (rires) "Qu'est-ce que je vais manger ?" (rires) "Et ma femme qui reste chez toi" (...)

  • Maurice : On peut dire que la liberté peut être considérée d'abord comme une fiction par essence. A partir de ce moment là au niveau du réel, puisqu'on ne vit pas seul, puisqu'on vit dans une communauté, je crois que la liberté peut se contrôler peut-être en deux termes. En terme fasciste, et en ce moment là on se dit que le statu quo est continu, ou en terme d'impertinence où on se dit tiens, la liberté est un rêve, et ce n'est pas parce que l'horizon s'éloigne que l'horizon n'existe pas. Je crois que le problème est assez clair : c'est parce que l'horizon s'éloigne chaque fois qu'on est en train d'avancer, est-ce que pour autant peut-on dire que l'horizon n'existe pas ? Non, sinon en ce moment là, vous serez en difficulté. Et je crois que la vérité de la liberté c'est que si comme un horizon chaque fois que vous avancez et que vous essayez de conquérir, la liberté s'éloigne parce que ce n'est pas quelque chose que vous pouvez sédentariser dans un lieu en se disant (...) vous restez là. Eh bien la liberté bouge. Et je crois que c'est peut-être cela qui fait à la fois son charme et tout le langage de la séduction est aussi un langage éminamment libertaire parce que justement je crois que là dans ce qu'on peut arriver en tant qu'homme, je considère la liberté comme une femme. Eh bien si nous n'avons pas les mots justes, eh bien vous allez tourner en rond. Je crois qu'il faut trouver les mots justes pour séduire cette belle femme et quoique l'horizon est en train de bouger et pourtant elle existe, elle est là à côté. Et vous pouvez aussi essayer de la trayer et de la rétrayer.