Café philo du samedi 29 mai 2004 au Voltigeur à Paris
Sujet proposé par Gilles : Philosophie et subjectivité
Animé par Alain
Sujets proposés
- Prise de conscience de soi, de sa pathologie, lucidité
- Nos expériences sont-elles limitées aux expériences qu'on peut nommer avec les mots ?
- Est-ce qu'on peut dire qu'un artiste créatif est toujours au travail ?
- Quelle liberté est possible dans le déterminisme ?
- Philosophie et subjectivité
- Quelle rencontre entre la philosophie et la poésie ?
- Revaloriser l'intelligence
Présentation
Je suis fasciné par la place prise par la subjectivité comme valeur positive. Philosopher c'est tendre vers la recherche de la vérité, sortir de sa subjectivité pour atteindre l'objectivité.
Tour de table
- Christian : La question me paraît essentielle. Qu'est-ce qu'on peut faire avec quelqu'un qui veut intégrer la subjectivité dans la philosophie ? On ne peut rien faire sauf parler de la légitimité d'intégrer la subjectivité dans la philosophie.
- F. : Les 2 notions sont liées. Je ne pense pas qu'il faille systématiquement éliminer la subjectivité. C'est un point de départ. On ne peut pas philosopher sans partir de son expérience personnelle. On ne peut pas y rester. Il faut l'utiliser pour trouver une vision du monde plausible. L'objectivité, il y en a 36, ça risque d'être l'idéologie, la pensée unique. Je pense que l'individu est un mythe.
- Anne : Ma sensibilité, ma perception de l'environnement, c'est là mon origine. Il n'y a pas d'approche sans que je passe par ma sensibilité au départ. Je plaide pour l'intersubjectivité.
- Christiane : "La Fragilité" de Nicole Bensaïag (...) Nous serions dans un état de participation au monde. Chaque modification amène quelque chose de nouveau dans notre rapport au monde, jamais le sujet contre le monde dans une recherche de maîtrise du monde mais une participation au monde. La pensée est toujours dans un rapport entre soi et le monde.
- Sarah : Est-ce que l'objectivité est possible ?
- Serge : "La philosophie fait sortir du subjectif" éliminer le subjectif ? Comme si la philosophie éliminait le subjectif. La science peut se poser la question de l'objectivité, ça n'est pas dans la philosophie que ça se pose. Dans la physique quantique le sujet peut intervenir. La question fondamentale est : qu'est-ce que l'homme ? Vouloir éliminer le sujet c'est vouloir éliminer la philosophie.
- Enza : La subjectivité pour moi ce n'est pas le sujet parce que le sujet contient l'objectivité et la subjectivité.
- L'objectivité est l'idéal vers lequel on devrait tendre en philosophie. Mais il y a un piège : faire passer une idée subjective pour objective. Ce n'est pas de la philosophie mais de la psychologie.
- Evelyne : Le je se construit. C'est entre le socius et le soi. Je ne vois pas le rapport entre la philosophie et la subjectivité.
- Alain : On est tous d'accord pour dire qu'il y a de la subjectivité au départ mais on tend vers autre chose que sa subjectivité de départ, un rapport à autre que soi. Comment est-ce possible ? D'après Christian, il faut éliminer la subjectivité. Est-ce que l'intersubjectivité tend vers l'objectivité définie comme consensus ? Une des définitions de l'objectivité est le consensus. (...) Il y a forcément une subjectivité au départ. De quoi est fait le sujet ?
Résumé du débat
- Christian : Serge a une position radicalement opposée à la mienne. Autrefois la science était partie intégrante de la philosophie. En philosophie, le philosophe est juge de sa pensée, en science c'est la collectivité.
- Christiane : La subjectivité c'est l'opinion. Le sujet correspond à une façon de l'homme de se considérer, la philosophie des lumières du 17ème au 19ème siècle. C'est une période plate de l'histoire de l'humanité. On peut avoir un rapport au monde différent. Selon Spinoza il y aurait 3 modes de connaissance :
- l'opinion
- la connaissance du rapport, pratique : je sais nager
- la connaissance de l'essence
Philosopher c'est dépasser la subjectivité pour construire des concepts au delà de la simple opinion. Comment y arriver ? Comment sortir de sa subjectivité ? Passer d'un mode de connaissance à un autre.
- Serge : On ne peut pas dire que le sujet c'est l'opinion. Selon Sponville, on ne peut pas sortir du présent, du sujet, de la subjectivité. Vouloir sortir de ça ... conception, on a une âme. Faire sortir du sujet quelque chose de plus profond. Il ne me semble pas que la science soit identique à la philosophie. La connaissance de soi est au coeur du sujet.
- Evelyne : On est obligé de se farcir son être. La subjectivité est ce qui fait qu'un sujetest à sa place.
- Alain : Atteindre l'objectivité, est-ce que ça n'est pas atteindre un autre niveau de sa subjectivité ?
- F. : Il me semble qu'un philosophe qui se contenterait de l'universel serait indigne. La seule pensée intéressante serait la philosophie qui tendrait vers l'universalité, c'est une affirmation. Il me semble qu'un philosophe qui se contente s'asséner des vérités est un philosophe amputé du vivant et de la vie. La philosophie se vit, se pense et doit être incarnée. Je pense que la philosophie doit servir à trouver un chemin incarné de vie, de pensée. Est-ce qu'on ne risque pas de se confronter avec un absolu avec lequel on ne peut rien faire ? L'individu doit se comprendre dans le monde en situation.
- Christian : Qui a peur de la philosophie ? Une constatation qu'on peut faire : la majorité des gens adoptent les idées qui les arrangent. Par quel processus ? A quoi son histoire l'a conduit ? Les raisons qu'il avoue ne sont pas les vraies mais sont là pour masquer les vraies raisons psychologiques. La philosophie dérange parce qu'elle démasque ce processus. La philosophie ce n'est pas asséner des vérités, ce n'est pas le dogmatisme, elle part en guerre contre le dogmatisme. La seule pensée intéressante est celle qui prétend tendre vers l'universel, c'est la seule digne d'examen. Votre opinion n'a aucun intérêt. Elle est intéressante pour votre psychanalyste.
- Alain : Il y a des idées philosophiques différentes, est-ce que ce ne sont pas des opinions ?
- Ozer : Tout ce qui nous dépasse, on accepte la chose telle quelle pour éviter d'être perturbé. Une autre approche est la philosophie politique, agir.
- Anne : Adopter des idées, qu'est-ce que ça veut dire, je ne sais pas, est-ce que ça veut dire se gommer, se dégommer, être le réceptacle d'idées qui viennent d'autrui ? Spinoza m'intéresse. Au final c'est quand même la subjectivité qui récupère le truc.
- Christiane : Elaborer quelque chose qui nous élabore, qui nous transforme, partir du monde, élaborer, revenir au monde on s'est changé. C'est dans ce sens que je dis on n'a pas de sujet. Il y a une multiplicité de moi qui jouent. C'est l'unification qui fait que par la mémoire je me souviens de moi. C'est intéressant de pouvoir se décentrer, pour se bouger soi-même. C'est une autre façon de concevoir la philosophie classique sujet - objet, dépasser ça pour une philosophie de l'être pour la vie, participer au monde.
- Alain : Quand on part de la subjectivité pour avoir un rapport au monde est-ce qu'on ne suppose pas au départ de l'objectivité ?
- Serge : C'est un style de philosophie. Chez Kant il y a les a priori. On ne doit pas construire un rapport au monde. Les immédiats de la conscience. Selon Bergson, il faut que le sujet puisse durer sinon ce n'est pas un sujet libre mais un sujet dépendant du monde. "Donnez-moi un point fixe et un levier et je déplacerai le monde" disait Archimède. Le mouvement perpétuel, le vivant ce n'est pas ça. Il y a une disparition du sujet, comme une pierre qui se déplace dans l'espace. Je ne suis pas dans cette philosophie là. Je suis dans une philosophie où il me semble qu'il y a un sujet qui va rencontrer le monde et des objets et d'autres sujets. Au 20ème siècle la physique a prouvé avec la mécanique quantique que le sujet existe.
- Christian : La pensée devient intéressante si ce que je dis ce n'est pas moi qui le dis. Le but de la pensée c'est faire disparaître le sujet. Si j'ai bien compris, Anne, tu es matérialiste.
- Anne : A bon ? C'est de l'ordre de l'opinion.
- Christian : Il y a une aventure extraordinaire dans cette démarche. Je repose la question : qui a peur de la philosophie ? Pourquoi ça te fait peur Evelyne ? Ca te permet d'adopter les idées qui t'arrrangent.
- Dominique : La philosophie est une forme de langage déterminée dans un métalangage, le langage de tous les sujets. Chaque sujet a son langage. Un sujet devient créateur. Une idée est incarnée parce que émise par un sujet. Enseigner c'est transmettre des idées à des générations futures. Si la philosophie n'est pas une transformation dans l'histoire elle n'est pas un art mais une information, elle perd de sa crédibilité. Quand on est kantien, on répète la parole de Kant.
- Alain : Dans ton concept d'histoire, il y a disparition du sujet.
- Dominique : Pas du tout.
- F. : Je ne vois pas qui a peur de la philosophie. Serge, tu dis que ce n'est pas durer que de se transformer. On se transforme tout le temps. La durée inclut la transformation. L'itinéraire n'est pas plan. C'est une diversité à construire et à ressentir.
- Ozer : Dans la philosophie, il y a toujours un sujet qui échappe au philosophe. Le philosophe en partant d'un constat crée un concept, c'est toujours partiel.
- Alain : L'introduction de la subjectivité dans la science... on peut concevoir de prendre en compte une position subjective et reconnaître à l'objet un absolu. La théorie de la relativité dit ça et établit une notion d'objectivité absolue. Evaluer la part de subjectivité.
- Michel : La base de la relativité, c'est que la vitesse de la lumière est constante dans tout référentiel.
- Evelyne : L'objectivité dont la science pourrait prétendre, comment penser qu'elle pourrait y prétendre ? On sent qu'il est quelque part, le sujet. Il y a un sujet qui lit, qui vit. (Selon Christian) le sujet est complètement enfermé dans la quête de la vérité, on a l'impression qu'il n'y a pas de sujet. "Qu'est-ce qui te fait peur dans la philosophie, une pensée sans sujet". Cette phrase nous fait prendre des vessies pour des lanternes. On est sujet déja parce qu'on lit cette phrase, donc on est un sujet de lecture. Déja on nous fait croire qu'il n'y a pas de sujet, ensuite on l'enferme d'une façon subtile, assujetti à prétendre au fantasme de la vérité.
- Jacques B. : Un ordinateur qui lit un texte avec un scanner est-il un sujet ? En un sens on est tous enfermés : quelqu'un qui n'est pas prisonnier est enfermé à l'extérieur de la prison. La vraie question est : est-ce qu'on est plus libre dans la vérité ou dans l'illusion ?
- Serge : Il me semble que dans la philosophie le sujet est au centre. Le métalangage philosophique fait qu'on va transformer un sujet qui désire... Est-ce que ce deuxième ordre permet ce passage à l'universel ? Le monde n'a pas besoin de sujet ni de philosophie à ce moment. On est dans la disparition du sujet. "La pensée et le mouvement" de Bergson. La philosophie est une préparation à bien vivre. Le sujet qui pense doit être un sujet qui dure.
- Christian : "Le sujet enfermé dans une quête de vérité", ce que vous préconisez c'est un sujet enfermé dans la subjectivité. La quête de vérité c'est sortir de cet enfermement. Est-ce que sortir de la subjectivité c'est sortir du sujet ? Est-ce que ce n'est pas le contraire ? Est-ce que ce n'est pas la plus grande affirmation du sujet, cette quête de vérité ? Est-ce qu'il y a un sujet dans la subjectivité ? Est-ce que la subjectivité n'est pas la négation du sujet ? La subjectivité est fabriquée par notre propre histoire.
- Ozer : Je pense comprendre ce qu'il veut dire. Il n'y a pas de sujet. Arriver à un niveau à une vérité invariable (Habermas, Hegel). La reconnaissance de l'autre est une vérité transcendentale.
- Enza : Je me pose la question, qu'est-ce qu'on pense par subjectivité, est-ce que c'est uniquement par le corps, en tant que corps comme Descartes avec l'hétéronomie, ou l'esprit critique subjectif ? Il y a pas mal d'amalgame là-dessus. Les concepts et les idées nous constituent, nous appartiennent. On les choisit pour le meilleur et pour le pire, pour soi. On ne peut pas balayer tout ce qui se dit. Comment faire comprendre cela par l'esprit critique à quelqu'un qui ne veut pas comprendre ? Il y a aussi l'idée d'échappatoire. On peut par échappatoire éviter l'enfermement, sinon on tourne en rond. Les durées sont plutôt des repères que nous créons dans notre tête. Les idées traversent les siècles. C'est la géopolitique.
- Evelyne : J'émets des doutes quant à la liberté du sujet quant à la béatitude de trouver la vérité. Il ne lui reste même pas le doute, je le plains. Etre enfermé dehors, je suis d'accord. Il n'y a pas d'issue.
- Alain : Le sujet c'est la subjectivité plus une part d'objectivité.
Tour de table
- Dans la science il y a une part de subjectivité.
- C'est difficile de nier notre part de subjectivité.
- Jacques B. : Je suis d'accord avec le fait d'éliminer la subjectivité de la philosophie à condition d'ajouter qu'il n'y a pas que la philosophie dans la vie. On a un rôle à jouer en tant que porteurs d'idées, d'opinions subjectives qui ne viennent pas de nous mais dont nous sommes les dépositaires. En assumant notre personnalité nous contribuons à la diversité de l'humanité.
- Serge : Il me semble au contraire que grâce à la philosophie on va pouvoir rester dans la subjectivité. On ne doit pas tendre à en sortir. Est-ce qu'on peut intersecter 2 sujets ? Est-ce qu'on peut intersecter les idées ?
- Sarah : On ne peut pas échapper à la subjectivité et c'est bien.
- Ozer : Il ne s'agit pas d'échapper, il s'agit de comprendre la philosophie et comprendre la vie, être accueillant, aimer la vie, c'est la sagesse de la philosophie. Prendre conscience d'une certaine réalité, faire des constats.
- Dominique : L'important est de se rencontrer, de discuter. Dans un débat sur la philosophie et la subjectivité, comment ne pas évoquer Freud ? Nous avons péché par manque d'exigence. Est-ce qu'un sujet peut être objet ?
- Guy : La philosophie, c'est un mot dont la définition n'est pas précise. qu'est-ce que la philosphie ?
- F. : On vient pour affirmer son idée, ce qui ne me semble être pas du tout la démarche philosophique
- Anne : Derrida et Deleuze, la philosophie du vivant avec parole singulière qui décentre, la subjectivité prend toute sa place.
- Christian : Une seule question a été posée : qu'est-ce qui nous sépare quant au fond ? On n'a peut-être pas touché le fond. Si on ne pose pas la question en ces termes, la notion est acceptée par une majorité, la minorité est exclue.
- Gilles : Je est un autre. Tout homme est deux hommes et le plus vrai est l'autre. La vraie vie est en marge de soi-même. Qui a peur n'est pas libre, qui est libre fait peur.