Café philo du 27 décembre 2000 au Bar des Oiseaux à Nice
Le chemin vers la liberté passe-t-il par l'autonomie ?
Animé par Bruno Giuliani
Résumé des interventions
- La racine indo-européenne du mot "liberté" fait référence à une
communauté de développement. La racine latine est "liber", la racine
"leib" signifie la vie, la racine grecque "eleutheria" vient de la
racine indo-européenne "leuth".
- François : Au départ l'autonomie est un partage de territoire. Chacun
fait ce qu'il veut avec son territoire. Comment peut-on parler d'autonomie sans
parler des autonomistes ?
- Bruno : On devrait peut-être revenir à la définition de la loi :
mettre d'accord des individus qui ont des intérêts divergents.
Est-ce que l'autonomie ne fait pas aboutir à une nouvelle liberté ?
- Jacques : En un sens c'est l'inverse : aux temps préhistoriques,
l'homme était autonome, il pouvait subvenir seul à ses besoins vitaux, mais ça
lui prenait tout son temps. Maintenant, il n'est plus autonome car il
fait partie d'une société dont il est dépendant, mais cette société lui
permet de subvenir à ses besoins vitaux de façon plus productive, en lui
demandant moins de temps, ce qui lui laisse plus de temps libre, donc lui
donne plus de liberté.
- Bruno : Tu confonds autonomie et autarcie. L'autonomie c'est le fait
d'être régi par ses propres lois et non par des lois extérieures.
- Jacques : C'est lié car le fait qu'on dépende de la société nous oblige à
nous conformer à ses règles.
- L'autonomie n'est pas uniquement une question économique.
- Christian : La demande de l'enfant est d'évoluer vers l'état adulte
et de conquérir son autonomie. Nous baignons dans une culture. La liberté
s'entend inévitablement dans un contexte relatif.
- Le discours dominant de la société est aliénant ou faussement désaliénant.
On pourrait imaginer des discours purement désaliénants comme ceux de la
philosophie.
- Comment peut-on faire pour être autonome ? On doit être authentique
vis-à-vis de soi.
- Bruno : Le contraire de l'autonomie c'est l'hétéronomie : on agit selon
une loi qui vient de l'extérieur.
- Je pense que la liberté n'existe pas, il y a un sentiment de liberté
qu'il faut développer.
- Bruno : Donc tu n'adhères pas à l'idée du libre arbitre.
Comment peux-tu décrire ce sentiment de liberté ?
- Je suis heureux. Je n'ai pas les mots pour le verbaliser.
- Il y a une partie de la vie sans liberté à cause des lois, mais
personne ne peut m'empêcher de penser ce que je veux penser.
La liberté de choix est un travail.
- François : Je crois que l'autonomie est le sentiment que j'ai que je peux
faire mes propres lois. Dire "je suis libre", c'est peut-être faux,
peut-être vrai. Sil n'y a pas de liberté il serait bon de dire ce que sont
ces lois de causalité.
- Le meilleur exemple de liberté c'est le prisonnier qui s'évade.
- Jacques : Si on pense qu'on n'a aucun libre arbitre et que tout est
déterminé, alors l'éthique s'effondre et la vie perd son sens. Quel sens
y a-t-il à condamner un criminel qui était déterminé à commettre son crime,
ou à faire des efforts pour améliorer notre condition si de toutes façons
celle-ci est déterminée ? La seule façon de s'en sortir est de faire une
sorte de pari pascalien de la liberté : on peut penser qu'on n'est probablement
pas libre, mais faire comme si on était libre au cas où on se tromperait
car l'erreur est plus grave dans un sens que dans l'autre : si on croit qu'on
est libre alors qu'on n'est pas libre ça n'a aucine importance, de toutes
façons on serait alors déterminé à croire qu'on est libre, alors qu'en
sens inverse si on croit qu'on n'est pas libre alors qu'on est libre, on
risque de se laisser aller, ne plus faire d'efforts.
- Bruno : Je crois que tu as mal compris les notions de déterminisme
et de libre arbitre. Je pense qu'on est déterminés mais pas prédéterminés,
c'est-à-dire qu'on est déterminé par des lois intérieures. C'est la position
du bouddhisme et de certains philosophes comme Nietzsche et cette position
n'entraine pas un effondrement de l'éthique ou du sens de la vie.
- Jacques : Je ne pense pas qu'il y ait un intérieur et un extérieur de
l'individu clairement délimités, mais plutôt une imbrication infinie d'intérieurs
dont la limite tendrait vers l'esprit, la liberté, la conscience.
Quand on regarde superficiellement le comportement de quelqu'un, on le voit
agir d'une certaine façon, mais en y regardant de plus près, on voit
que ce sont des phénomènes physiques dans ses neurones qui ont déclenché
ces actions. Le cerveau apparait alors comme quelque chose d'extérieur,
un ordinateur biologique à notre disposition.
- Il faut différentier le monde sensible et le monde intellectuel,
le déterminisme physique, sensible et le déterminisme intellectuel.
On résout successivement les équations à une inconnue, 2 inconnues, puis
3, 4, ... On est physiquement déterminé. La liberté est toujours par rapport
à un autre. Il faudrait un nouveau mode de vie, une nouvelle politique en
opposition avec ce qui existe, mais cette liberté est très dangereuse, elle
entraine les révolutions.
- Bruno : Tu fais intervenir la notion de créativité qui sort de la
détermination mécanique.
- Je sens de la liberté quand je ne suis pas dans l'acquis, être
toujours dans l'état de naissance et savoir que quand je rencontre l'autre
il est aussi dans l'état de naissance.
La plus grande liberté c'est l'adaptabilité, l'homéostasie.
L'adversité et la capacité de m'adapter c'est la liberté, et n'être jamais
dans l'acquis, toujours dans le questionnement, ne pas avoir de mémoire.
- Bruno : Pour s'adapter à la réalité la mémoire est nécessaire.
- On vient au monde chargé de tout ce qu'il faut pour se battre,
pour rester en vie.
- Bruno : Il me semble que non, à l'origine notre dépendance est
tellement grande, nous n'avons pas l'instinct nécessaire, d'où la nécessité
de nous organiser en société.
- Tout ce qui nous entoure a été créé par des hommes. Tout ce qui nous
entoure est le résultat de la créativité de quelques uns. La liberté c'est ça.
- Bruno : Pour être libre il faut non seulement pouvoir façonner la
réalité mais en être le maitre. Si on s'en tient à la nature nous ne sommes
pas libres.
- Je voudrais répondre à Jacques qui a proposé une sorte de principe
de précaution du libre arbitre.
Si on n'a pas de libre arbitre et qu'on nous fait croire qu'on en a
c'est très grave. On pourrait créer un principe de précaution inverse :
tant qu'on n'est pas sûr que les gens sont libres, on n'a pas le droit de
les mettre en prison, de les laisser se prostituer, de faire une société
de consommation, on est dans une société d'esclavage, c'est une imposture.
- Je ne pense pas qu'on puisse séparer la matière de l'esprit.
Notre corps a des contraintes mais il plairait à certains que notre esprit
soit totalement libre. Ca me parait impossible.
- Il y en a qui sont vraiment libres : les ermites.
- Bruno : Est-ce que c'est vraiment en autonomie qu'ils font ce choix
de vivre en ermite ?
Ca voudrait dire qu'il n'y a presque personne de libre.
Pour vous quelqu'un de libre c'est quelqu'un qui n'est pas dans une société.
- Je pense plutôt que la liberté passe par l'autonomie, la connaissance
de soi, le libre arbitre. Je ne comprends pas pourquoi le libre arbitre est
illusoire. Il fat pouvoir réagir en extirpant toutes les contraintes éducatives,
les pressions, pouvoir analyser tout ça.
- Bruno : Le déterminisme: il n'y a pas de possibilité de s'affranchir des
lois de la nature. Je suis en désaccord avec ceux qui disent que l'homme
est libre parce qu'il peut s'opposer aux lois de la nature.
Le libre arbitre : Dieu ou une propriété cérébrale qui permettrait à l'individu
d'agir sans être déterminé par les lois de la nature.
Il n'y a de liberté qu'en société.
(pause)
- Bruno : Pour être libre il faut connaitre ses désirs.
- Jacques : Et il faut savoir quelles sont les actions qui conduiront
à la réalisation de ces désirs. Paradoxalement, la liberté est frustrante :
elle prend tout son sens quand on doit faire un choix important qui fait
bifurquer sa vie. On est frustré par l'inaccessibilité des mondes découlant
des choix non réalisés. Quand les meilleurs choix à faire sont évidents, qu'on
a un chemin tout tracé, c'est plus confortable.
- Bruno : La sagesse permet de savoir quels sont les meilleurs choix.
- Cette pensée permet de présupposer le mythe de l'intériorité :
sujet déja là avec évènements mentaux et désirs qui lui appartiennent.
Selon Lévinas, il n'y a pas de sujet qui se tient. La subjectivioté est la
rencontre de l'altérité. Je ne suis moi-même que lorsque je suis responsable
de l'autre.
On ne commande à la nature qu'en lui obéissant.
- Critique de l'autonomie : se donner à soi-même sa propre loi c'est une
illusion.
- Bruno : Pourquoi la reconnaissance de l'altérité mène à l'autonomie ?
- Je ne parlais pas de la reconnaissance de l'altérité qui vit
indépendamment à moi. L'altérité creuse en moi, crée un déphasage.
L'altérité n'est pas seulement extérieure.
- J'ai l'impression qu'il y a une très grande douleur à admettre que
je ne suis pas libre, envie de dire où je suis libre. Si je sors de prison
j'ai l'impression d'être toujours prisonnier de moi. J'aurais envie de vivre
mille vies, d'être mille individus et pas que moi. Mes pensées sont autonomes,
je ne suis même pas responsable de mes pensées.
- Je ne peux être libre qu'en prenant en compte la réalité.
- François : Personne ne dit qu'il est libre.
Quand quelqu'un n'a pas ce qu'il aime, il finit par aimer ce qu'il a.
Quand on nous dit qu'on est libre, on finit par le croire.
- Bruno : Il y a des degrés de liberté. Plus on est autonome, plus on
est libre.
- Le problème pour être libre est le malheur d'un grand nombre de
personnes. Il faut se libérer de la soumission des dominants. Tout le monde
a le droit de vivre heureux.
- L'autonomie vient quand on ne cherche plus, on a trouvé ce qui nous
convient, par exemple le métier, e conjoint.
- Laisser le déterminisme derrière nous et la création devant nous.
Il faudrait trouver un acte collectif qui prouve que nous sommes libres,
par exemple un nouveau cri.
Sujets proposés pour le prochain café philo
- Que faut-il dire aux hommes ?
- On ne fait qu'un dans un couple, mais lequel ?
- Peut-on renaitre ?
- Le discours désaliénant a-t-il encore une chance contre la puissance
du discours aliénant ?
- Qui parle ?
- Sommes-nous autorisés à philosopher ?
- Le bonheur est-il à la portée de tous ?
- Sujet choisi : Le pouvoir de la caresse.