Café philo du mercredi 13 février 2002 au Bar des Oiseaux à Nice
Sujet proposé par Sylvie : Comment résister à la tentation de s'identifier à un groupe ?
Animé par Bruno Giuliani
Résumé du débat
(...)
- Bruno : La question n'est pas l'appartenance mais l'identification à un groupe. On peut s'identifier à un groupe auquel on n'appartient pas, à un groupe qui n'existe plus.
- Elisabeth : Le seul groupe auquel j'appartient c'est les humains.
- Bruno : Est-ce que tu t'identifies à ce groupe, à l'idée que tu te fais de ce que doit être l'humain ?
- Elisabeth : Un humain est quelqu'un qui met de côté ses origines, comme un bébé tout neuf qui se crée.
- Il faut apprendre à parler à tous et non seulement aux siens
Il faut s'élever au-dessus des particularismes ignobles pour retrouver son humanité. D'où viennent les forces ségrégationnistes ?
- La Terre ne nous appartient pas, c'est nous qui appartenons à la Terre.
- On a toujours tendance à valoriser notre groupe et à dévaloriser les autres groupes. Plus on se distance, plus on met le groupe en danger.
- Dès qu'on remet quelque chose en cause dans le groupe il y a un processus de rejet ou de remise au pas.
- Bruno : Il y a une confusion entre l'identité collective et l'identité qui permet de me reconnaitre différent des autres.
- J'aimerais avoir la suffisance de désigner moi-même les membres du groupe auquel j'appartiendrai.
- Conserver sa singularité peut se montrer en choisissant son groupe. Il faut assumer ce qui fait l'identité du groupe.
- On risque de perdre sa singularité quand on s'identifie au groupe.
- Dans la mode il y a des hiérarchies, des degrès d'identification.
- Il faut de temps en temps réfléchir pour s'identifier de moins en moins.
- François : Il faut distinguer ce qui se passe maintenant de ce qui se passait naguère. Avant l'identification était inculquée dans l'idéologie dominante. L'idéologie dominante inculque maintenant "soyez vous-même". On veut être authentique, on veut ne pas s'identifier à la société, alors que la société vous demande d'être vous-même. On est manipulé de la même façon.
- Carole : Il y a différentes structures de groupes, 2 styles de fonctionnements de groupes, traditionnel et moderne.
Dans les groupes traditionnels, l'individu se fond dans l'image du groupe. C'est un système mécanique où l'individualité n'a pas sa place. Le groupe moderne reconnait la conscience individuelle qui a un rôle individuel à apporter.
- Bruno : Comment résister à la tentation de s'identifier à ces 2 types de groupes ?
- Le groupe est à la base un milieu protecteur.
- Pourquoi appartenir à un groupe est considéré comme dangereux ?
- Bruno : Comment résister à la tentation du totalitarisme, de l'idéologie, du sectarisme ?
La liberté se conquiert au cours d'un processus éducatif. Mais l'éducation conduit à des conditionnements.
- LA tentation idéologique est différente de la notion de groupe.
- Jacques : Les opposés se rejoignent dans l'opposition à l'existence de multiples groupes auxquels on peut s'identifier : les partisans de l'individualité qui déplore que cell-ci se fonde dans un groupe, et ceux qui voudraient que l'humanité toute entière ne soit qu'un seul grand groupe homogène. Il peut arriver que sous prétexte de défendre l'individualisme, un groupe dominant combatte d'autres groupes minoritaires qui sont pour lui des concurrents.
La formulation de la question a un côté langue de bois car elle présuppose que c'est mal de s'identifier à un groupe. Même si ce présupposé est en accord avec ma sensibilité personnelle, je pense que philosophiquement c'est contestable car le propre de la philosophie est de remettre en question même ce qui peut paraitre évident. On devrait d'abord se demander si c'est bien ou mal de s'identifier à un groupe et pour quelles raisons.
En ce qui concerne les moyens pour résister à cette identification, je suis d'accord avec Bruno, l'éducation est fondamentale. Il ne faut pas réprimander les enfants qui contestent de façon justifiée.
- Bruno : Tu n'as pas donné de raisons pour lesquelles il serait bien de s'identifier à un groupe.
- Jacques : Même si ces raisons pèsent moins lourd pour moi que celles de ne pas s'identifier, on peut en trouver. Tu as reconnu toi-même qu'il est bien d'appartenir à un groupe. Il est plus facile d'appartenir à un groupe auquel on s'identifie, sinon on est amené à jouer une comédie, c'est une situation plus difficile à vivre. Si on s'identifie au groupe, il y a une harmonie entre ce qu'on est au fond de soi et ses relations avec le groupe.
- Bruno : Mais on perd son individualité.
- Jacques : Je suis d'accord.
(pause)
- Bruno : On doit aller contre le déterminisme extérieur par un déterminisme interne. Je pense qu'on ne peut échapper au déterminisme. Il y a des déterminismes positifs, par lesquels on affirme sa liberté, et des déterminismes négatifs qui nous aliènent.
Je vous invite à affirmer vos singularités en parlant de vous, comment vous arrivez à résister.
- François : On n'a pas à être soi-même, on est, c'est suffisant. Je ne crois pas qu'on est aliénés par des tas de trucs.
La guerre exacerbe les problèmes d'identité. Dans les choix il y a une identification qui peut être très dangereuse.
Le groupe ne doit pas ^^etre négatif, on peut s'identifier au groupe si le groupe nous est supérieur.
- Bruno : C'est exactement le contraire. Non, nous ne sommes pas nous-mêmes.
Tu ne justifies pas ce que tu affirmes.
Quand je te pose la question la question pourquoi tu penses ce que tu penses, tu ne répônds pas.Tu ne penses pas par toi-même. Tu fais partie du groupe de ceux qui ne sont jamais d'accord.
- François : Je suis parfois d'accord.
- Bruno : Là encore tu n'es pas d'accord.
Il y a très peu de personnes qui savent pourquoi elles pensent ce qu'elles pensent. Il y a des effets de modes avec les maitres à penser.
- Sylvie : Le catholicisme est un bon exemple. Il faut mettre en questio nsa culture, se débarasser de la tentation de l'idolâtrie. On est baigné de l'idée de châtiment et de récompense.
- Bruno : L'idéologie dominante, mécanisme d'identification au groupe qui nous conduit à nous identifier à un modèle, humanité qui condamne la part d'animalité, la sexualité, on est dans une aliénation, un manque d'affirmatio nde soi.
Selon Nietsche, le christianisme a donné du poison à Eros. Il est devenu vicieux.
- Dominique : Je ne suis pas sûr qu'on ait toujours le choix.
Est-ce qu'il n'y a pas des identifications positives avec des groupes persécutés.
- Bruno : L'identification est toujours négative, elle s'oppose à notre identité. On peut être solidaire sans s'identifier.
- Annie : Quand on a de la force est-ce que ce n'est pas plus intéressant d'en faire autre chose qu'un rapport de force ?
- Il y a un petit groupe qui fout le bordel, cette guerre latente, cette négation du rapport de force, cet angélisme ...
- Bruno : Je ne comprends pas.
- Je dis qu'il y a des tas de petits groupes qui tirent chacun la couverture à soi, avec des mesures particulières, des avantages, on est dans un pays totalitaire.
- Paul : Le vrai problème est un groupe totalitaire monothéiste qui garantit la félicité. Tant qu'on n'admettra pas la pluralité des origines, on se foutra le doigt dans l'oeil.
- Comment peut-on construire son libre arbitre ?
Comment fonctionne le groupe ?
Est-ce qu'on est tous égaux dans le groupe ?
- Bruno : Je crois qu'on ne peut pas construire son libre arbitre, il est toujours une illusion.
- Elisabeth : Dès tout petit on est obligés de se plier à l'éducation. Quand on se remet en question on finit par avoir une distance entre soi et le groupe.. Ca ne fait que grandir. Je ne sais pas faire partie d'un groupe sauf les êtres humains mais j'aime tous les groupes. S'il y a de la haine dans un groupe je n'y irai pas, c'est tout. C'est lié à la peur. Quand on a peur, on s'insère dans un groupe. Quand on a dépassé la peur, on peut aller dans tous les groupes.
Pour résister à l'identification, il faut sentir qu'on est dans l'impermanence.
- Bruno : On a besoin d'une certaine identité, elle n'est pas donnée mais à construire. Elle est illusoire. Le danger est de s'identifier aux autres, on s'auto-aliène. C'est le travail du bouddhisme de prendre conscience de cet ego illusoire.
- François : Quand je ne suis pas d'accord, je n'ai pas l'impression d'être en marge, j'ai l'impression que c'est tout le groupe qui est en marge, c'est leur problème.
- Chacun peut alimenter la part de soi dans le groupe.
L'idée qu'on a de soi n'est pas un point fixe. Je continue à chercher.
Une fille prépare un gigot. Sa mère lui demande "As-tu enlevé l'os du gigot ?" Elle lui répond "Non, j'ai oublié. Mais pourquoi doit-on l'enlever". Sa mère ne sais pas, elle dit que c'est sa mère qui lui a applis. Elle appelle sa mère qui lui donne la même réponse et ainsi de suite sur plusieurs générations. Finalement l'arrière-grand-mère dit que c'est parce que son plat était trop petit. On perpétue des traditions qui n'ont plus de raisons d'être.
(...)
- Kiko : J'adhère au mouvement anti-mondialisation. Si un jour ça dégénère je peux toujours retirer mon adhésion.
- Bruno : Si tu t'identifies tu vas perdre ton esprit critique. L'identification conduit à penser selon le modèle de l'idéologie.
- Il est difficile d'avoir un esprit critique.
- On dit que l'identification aliène, elle peut aussi constituer la personne.
- Bruno : Tout le risque est de rester dans l'identification.
Un de mes professeurs nous disait : quand vous lisez, perdez tout esprit critique pour rentrer dans la pensée de l'auteur, puis relisez avec votre esprit critique.
- Quand on lit, on est happé par un système qui a l'illusion de la perfection.
- Bruno: Pour Krishnamurti, ce n'est pas une question de temps, c'est immédiat. Toute identité est illusoire. Il reste la vision de la réalité.
- Alain : Je ne suis pas d'accord avec le déterminisme. Selon les physiciens il y a trop de bruit pour qu'un effet soit déterminé par une cause.
- Bruno : Tu n'as pas compris le déterminisme.
- Je suis Sartre.
- Bruno : Sartre n'a pas compris.
- Annie : Ce qui est dangereux est le risque de s'identifier au modèle qui nous ressemble le plus.
- Bruno : C'est un besoin universel de se projeter dans des modèles. Sylvie, est-ce que ce débat a répondu à tes interrogations.
- Sylvie : Il y a du boulot.
- Bruno : Si un groupe est nuisible, on peut lutter contre la nuisance.
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