Café philo du mercredi 28 février 2001 au Bar des Oiseaux à Nice
Peut-on tout expliquer ?
Animé par Bruno Giuliani
Résumé du débat
(...)
Bruno : On ne peut pas parler de ce qui n'existe pas.
Au fur et à mesure qu'on élargit le champ du savoir, on découvre
des choses inconnues 5Dictionnaire de l'ignorance, Albin Michel).
L'explication n'est jamais fixe, elle évolue.
L'explication n'est jamais définitive, elle est relative.
Bruno : La question est : peut-on tout expliquer ?
On peut tout expliquer, c'est une question de temps.
Il y a des phénomènes qu'on ne peut pas encore expliquer
parce qu'on n'a pas toutes les données.
Bruno : Qu'est-ce qui fonde votre conviction qu'on peut tout
expliquer, qu'un jour on aura tout expliqué ?
(...)
La métaphysique est la réflexion sur les causes, les fondements cachés,
non phénoménaux de la nature, l'explication de ce qui est au delà des
phénomènes. Les philosophes tentent de comprendre la métaphysique
c'est-à-dire l'inexplicable.
Jacques : Quelque chose n'est réel que si elle est perçue directement
ou indirectement. Par exemple, on ne peut pas voir un électron, mais
la notion d'électrons permet d'expliquer différents phénomènes que
nous pouvons percevoir comme des réactions chimiques, le fonctionnement
d'appareils électroniques...
Bruno : Mais on peut voir un électron dans une chambre à bulles.
Jacques : oui, mais indirectement.
Bruno : Mais tout est perçu indirectement, par l'intermédiaire
des organes des sens.
Jacques : C'est vrai, il faudrait dire "perçue plus ou moins
directement ou indirectement". On ne perçoit directement que notre
état de conscience. En ce qui concerne la métaphysique, est-ce que,
par exemple, ça aurait un sens de se poser la question de l'existence
de Dieu si celle-si n'influait aucunement sur nos perceptions ?
D'autre part, tu as fait un glissement entre le fait que tout phénomène
puisse être expliqué, et le fait qu'il y aura un jour J où tous les
phénomènes seront expliqués. Ce n'est pas du tout pareil.
Bruno : C'est vrai.
Je pense qu'on ne peut pas tout expliquer, notamment dans le domaine
esthétique.
"Peut-on" a un double sens :
- Est-ce que c'est possible ?
- Est-ce qu'on a le droit ?
Une explication est inévitablement poétique.
Platon et Aristote ont donné avec tout leur génie une explication du monde.
Ils avaient le droit de la donner car ça a apporté beaucoup à l'humanité.
Bruno : La question du pouvoir ne renvoie pas au droit,
c'est un autre problème.
Il y a parfois de la magie dans une rencontre avec une oeuvre
d'art qui provoque une émotion.
Bruno : Tout ce qui se passe dans le cerveau est explicable,
même si nous n'avons pas encore les moyens de tout comprendre.
Le fait de dire que c'est magique est une explication.
Ce qui est magique, c'est ce que je ne veux pas savoir.
Je veux garder le pli fermé.
L'invisible existe parce qu'il y a le visible.
(...)
Bruno : On appelle noumène ce qui n'est en aucune façon phénoménal.
Annie : Nous sommes tous à des niveaux d'explication partielle.
Depuis longtemps on se sert de tels arguments, on fait tels systèmes.
Je ne suis pas sûre qu'ils ont accédé à quelque chose de total.
Est-ce que ça ne nous renvoie pas à quelque chose de plus universel ?
On n'a que des explications partielles, quand on veut en venir à
une interprétation on se trompe. Tous ceux qui ont fait des systèmes de pensée
ne me font pas penser qu'ils ont tout compris. Si on est toujours en
train de chercher, ça veut dire qu'on n'a pas trouvé.
Bruno : Non, on peut être tous en train de chercher alors que quelqu'un a déja tout compris.
Selon Edgar Morin, comme ont dit Marx et Engels, les hommes
ont toujours élaboré de fausses conceptions, et Marx et Engels ont fait de même.
Est-il possible de tout expliquer scientifiquement, selon la
relation de cause à effet ? Les historiens de la nouvelle histoire
ont renoncé à la causalité pour la remplacer par la compréhension.
Ne pourrait-on pas étendre le sujet : tout est-il pensable, compréhensible ?
Bruno : Il pourrait y avoir une explication non scientifique,
autre que la causalité. Qu'est ce que ça veut dire qu'expliquer ?
Déplier, mettre à jour les relations de causalité qui n'étaient
pas apparentes.
Expliquer ne signifie pas dire la vérité.
On cherche parce que c'est explicable.
Bruno : Je ne suis pas d'accord, si on est dans la recherche
scientifique, il est possible de faire une recherche, une approche
de connaissance, (...) il y a de l'inexplicable mais aussi des
choses à savoir sans nécessairement maitriser.
Imagine qu'on veuille expliquer l'intuition.
Bruno : Pour l'instant, la science n'explique pas grand chose.
Quand on parle de synchronicité on ne peut plus utiliser
la science.
Bruno : On va revenir sur la différence entre explication scientifique
et explication non scientifique.
(...)
Le problème pour le scientifique est de choisir parmi les explications
celles qui peuvent être confirmées par l'expérience.
On pourrait aussi dire que rien n'est explicable.
(pause)
Bruno : Toute explication est-elle scientifique ?
Y a-t-il d'autres types d'explications ? Lesquelles ?
François : Je pense qu'il y a d'autres types d'explications.
Le scientifique ne cherche pas à expliquer, à prouver, c'est une
manie des rationalistes. Ceux qui ont fait des millions d'adeptes
n'ont pas donné des explications scientifiques. Il y a des systèmes
d'explication totalisant.
Bruno : La métaphysique.
Il y a toutes sortes de rationalités, chacun peut en construire.
Il y a des tas de systèmes d'explication. C'est la mise en rapport.
(...)
Il y a autant de chaos que d'ordre. S'il n'y avait pas de chaos,
il n'y aurait rien d'imprévisible.
Bruno : Il y a des philosophes qui ont dit ça.
La mythologie explique le monde.
La cosmologie, la cosmogonie.
Bruno : Je propose d'admettre qu'il est possible d'atteindre le vrai.
Cette volonté de tout expliquer caractérise notre civilisation des lumières.
Bruno : Et les présocratiques.
Admettre que tout est explicable est une position métaphysique.
La mythologie est un modèle de causalité fondé sur la croyance.
Bruno : Expliquer c'est comprendre la relation de causalité.
Jacques : Si on parle de causalité, on sort du cadre des perceptions
et on rentre dans le cadre des modèles, des théories. Il y a des modèles de plus en plus
précis qui approchent le réel de plus en plus près mais qui ne
l'atteidront peut-être jamais. En physique, il y a d'abord eu la théorie
newtonienne qui explique le mouvement des planètes avec une précision
suffisante quand les conditions restent dans certaines limites,
mais quand on sort de ces limites, c'est-à-dire quand on a des vitesses proches
de la vitesse de la lumière, cette théorie n'est plus du tout valable.
Einstein a élaboré une nouvelle théorie, la relativité générale,
qui permet de décrire avec une meilleure précision les phénomènes
où interviennent des vitesses proches de celle de la lumière.
Mais cette théorie elle-même ne s'applique plus dans le domaine des particules élémentaires,
et on a élaboré une nouvelle théorie qui fournit une bonne approximation
dans ce domaine, et ça pourrait continuer comme ça à l'infini.
La question est-donc : l'explication est-elle finie ou infinie ?
Expliquer c'est proposer un ordre.
Le hasard c'est ce qui n'est pas explicable.
Bruno : Je pense qu'il n'y a pas de hasard.
La réalité, c'est ce qu'on perçoit de la réalité.
La réalité, on ne sait pas ce que c'est. Il n'y a que des perceptions.
Il n'y a pas de hasard mais une méconnaissance par l'homme
de l'ordre du monde. C'est ce que pense Spinoza.
Isabelle : Je suis d'accord avec Bruno. On peut tout expliquer
parce qu'on a la possibilité d'aller chercher l'explication.
Bruno : La connaissance métaphysique ne passe pas par les symboles.
(Bergson)
Le cerveau droit a une petite partie du tout.
J'ai fait un dessin qui représente un portrait psychologique
d'une personne. Elle m'a dit "Tu devrais faire de la voyance".
Il n'y a pas de voyance, il n'y a que de l'extra-lucidité.
Essai de dialogue avec l'inconscient de Jung.
On enregistre subliminalement des choses. Il y a aussi les
champs morphogénétiques de Rupert Sheldrake. L'effet papillon du Tao,
la bionique...
Plus les années passent plus je fais place à ma méconnaissance.
Je laisse faire les choses qui n'ont pas besoin de moi pour se transformer.
Je m'éloigne de cette quête à vouloir tout savoir et je m'en réjouis.
Plus j'enlève de la force et du temps à chercher des explications,
plus je comprends que l'important est de vivre les choses.
Je trouve ça très dangereux. Il y a des choses pour lesquelles
nous n'avons pas besoin d'explications, ça ne doit pas nous détourner de la recherche.
Je ne pense pas qu'une société serait mieux si on cherchait plus.
Bruno : Tu ne penses pas qu'il vaut mieux qu'on comprenne le plus possible de
choses essentielles ?
Il y en a marre de tous ces systèmes qui prétendent à
l'explication, il y a quelque chose de totalitaire.
Bruno : Moi je ne suis pas totalitaire, je suis dogmatique.
Le totalitaire veut imposer son point de vue notamment par la colère.
Celui qui se met en colère n'a pas le pouvoir.
On ne peut pas tout expliquer parce qu'on est dans le monde.
Pour expliquer quelque chose il faut l'avoir devant soi.
Bruno : Ne peut-on expliquer que ce qui est hors de soi ?
Il n'y aurait pas de sciences humaines.
Ca nous entraine dans un dualisme intérieur - extérieur.
La phénoménologie détruit cette opposition intérieur - extérieur.
Il existe des phénomènes inexplicables.
En biologie, Théodere Monod, Le hasard et la nécessité.
En cosmologie moderne, l'apparition de la vie.
Il aurait suffi de peu pour que la vie n'apparaisse pas.
La contingence est un phénomène qui aurait pu avoir lieu et aurait pu
ne pas avoir lieu.
Les électrons se promènent de façon hasardeuse.
Bruno : C'est faux. L'indéterminisme n'est qu'une interprétation
métaphysique.
Jacques : C'est vrai, il y a aussi les théories des variables
cachées, selon lesquelles l'indéterminisme apparent viendrait du fait
que la théorie est incomplète, il y aurait une théorie plus précise
qui serait déterministe. Cette théorie est un peu abandonnée actuellement,
mais il y a aussi la théorie des mondes multiples, selon laquelle
on n'aurait pas un électron qui a une certaine probabilité d'être
ici et une autre probabilité d'être là, mais un monde où l'électron est
ici et un autre où il est là.
Je ne sais pas s'il y a une séparation nette entre intérieur et extérieur.
Je verrais plutôt ça comme une infinité d'intérieurs imbriqués,
qu'on peut mettre en rapport avec l'infinité de théories de plus en
plus précises, en associant l'extérieur à la partie expliquée du monde et
l'intérieur à la partie inexpliquée. Les théories expliquant de
plus en plus de choses, l'intérieur rétrécirait de plus en plus pour
converger asymptotiquement vers un point qu'on pourrait appeler l'esprit.
(...)
Une des ccauses de la guerre est qu'il y a des gens persuadés qu'il
faut faire la guerre.
Quand l'homme a inventé la science, il a perdu quelque chose.
Sujet du prochain débat
Allons-nous de la société actuelle avec ses problèmes économiques vers
la civilisation culturelle ?