Café philo du mardi 19 décembre 2000 au bar Onyx à Nice
Sujet : L'estime
Animé par Eve Depardieu

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Résumé du débat

Compte-rendu de l'animatrice

DISCUSSIONS-PHILO du 14/12/00 et du 19/12/00 animées par Eve DEPARDIEU

Thèmes :

La notion d'estime n'est pas facile à cernet de prime abord, car c'est un sentiment évaluatif et valorisant qui fait donc appel à des critères d'appréciation à la fois objectifs et subjectifs, quantitatifs et qualitatifs, selon ce que l'on cherche à apprécier (= en y mettant du prix) : soit que l'on cherche à apprécier la mesure de certaines choses, selon des ordres de grandeur préétablis (estimation mathématique ou statistique d'une taille, d'une distance, d'un coût ou d'une qualité physique), soit que l'on veuille apprécier les qualités à la fois physiques et psychiques d'une personne ou de son action (sens moral, qualités de coeur et d'esprit, sagesse, courage, détermination, efficacité), en portant un jugement de valeur (valorisation par référence à des échelles de valeurs conventionnelles, à des normes sociales, culturelles, morales, professionelles, mais aussi et surtut par rapport à soi, aux sentiments que l'on éprouve pour soi (amour de soi), à la représentation que l'on a de soi (conscience de soi) et à l'idée que l'on a de sa propre valeur (estime de soi) par rapport à celle que l'on voudrait avoir, selon de sidéaux imposés ou de son choix.

Ce mélange de quantitatif et de qualitatif, d'objectif et de subjectif, laisse planer un doute quant à la fiabilité d'un jugement qui ne dépendrait que de l'estime d'un seul : il apparaîtra comme une opinion approximative, comme une approche particulière, provisoire, susceptible de controverse et d'évolution. En effet, quel que soit l'objet d'estime, il semble difficile d'éviter la part de subjectivité qui entre en ligne de compte, car l'estimation évaluative dépend des facultés de représentation, d'interprétation et de valorisation du sujet qui la pratique, et donc, de sa capacité, d'une part, à appréhender les êtres, les choses et les évènements, de cette manière, en leur reconnaissant une certaine valeur, chiffrée, symbolique ou pragmatique, et d'autre part, à faire sienne ces valeurs, en les intégrant volontairement et intentionnellement (en pleine conscience et connaissance de cause, avec discernement et sens critique) au processus de construction de sa propre personnalité, et en y adhérant pleinement.

Dans ces conditions, la notion d'estime est au premier rang des victimes de sa définition (difficile d'être à la fois juge et partie !) : elle porte en soi le facteur d'incertitude inhérent à tout processus d'approche ou d'apprentissage (par expérience, par essais et erreurs) qui vise l'exactitude, la justesse de l'appréciation ou du jugement. Ce n'est qu'une fois le résultat atteint, a posteriori, que l'estime s'avérera bonne ou mauvaise, bien ou mal ajustée. Il s'agit d'un sentiment qui sort de l'ordinaire, éprouvé par quelqu'un à l'égard d'un autre pour sa manière d'être et d'agir dans certaines circonstances et sous certaines conditions : il doit répondre à des exigences rigoureuses, à des critères de comparaison et d'appréciation très précis, et donc sortit triomphant de certaines épreuves, dont celle de l'assentiment d'autres personnes qui valorisent de la même façon ou différemment, avec plus ou moins d'émotion, d'enthousiasme et d'admiration, avec les mêmes critères ou en se référant à des systèmes de valeur différents.

Pour tendre vers l'objectivité, l'estime ne peut donc se passer d'épreuve, ni du regard et de l'opinion des autres, ni de l'interprétation personnelle toujours liée à un lieu, une époque, une identité et une appartenance sociale et culturelle, c'est-à-dire sans prendre en considération tout un ensemble d'éléments externes et internes qui influencent les facultés individuelles d'analyse et d'appréciation des situations, particulièrement dans leurs aspects les plus intimes, souvent difficiles à cerner, liés à la sensibilité et à l'émotivité, aux expériences et épreuves traversées, au raffinement de goût et du discernement, et au niveau de connaissance. Certes la référence individuelle peut se confondre avec les idéaux fondateurs des civilisations ou avec des archétypes culturels estimés de tous (modèles, héros) dont la valeur historique ou symbolique est difficilement contestable, mais cela n'empêche pas l'estime de varier en intensité ou en originalité selon la nature de l'objet estimé et selon les conditions qui président à cette estimation : situation dans l'espace et dans le temps, marges de liberté à la portée de celui qui estime au niveau du développement de ses goûts et de son sens critique...

Autrement dit l'estime que l'on peut éprouver pour autrui ou pour toutes choses extérieures à soi ne peut être dissociée de celle que l'on éprouve d'abord à l'intérieur de soi pour soi-même, de cet intérêt essentiel et primordial que l'on porte à sa propre vie et à l'être qui se développe en soi, auquel on attribue plus ou moinbs de sens et d'importance, avant d'attacher du prix à la vie d'autrui et à l'existence en général. Mais elle ne peut non plus être détachée du processus de socialisation de l'individu qui ne prend vraiment pleinement conscience de lui-même qu'en se comparant et en se situant par rapport aux autres, lorsqu'il est capable de distinguer les caractères spécifiques qui le rendent semblable ou différent, partie d'un ensemble ou unité distincte, distante des autres, et lorsque, à partir de là, il ajuste ses sentiments de sympathie ou d'antipathie, d'attirance ou de répulsion, d'admiration ou de mépris.

Toutefois, si le sentiment d'estime se développe à partir de l'estime de soi, il hérite du même coup de toutes les difficultés que rencontre chaque être humain à s'apprécier lui-même correctement à sa juste valeur : il aura dinc du mal à éviter les écueils de l'égocentrisme : la surestimation ou la sous-estimation de soi, c'est-à-dire la panoplie des complexes de supériorité (narcissisme et orgueil) et d'infériorité (honte et mépris de soi), catastrophiques, dans leur pathologie, pour la vie affective et sentimentle et pour la construction du moi, jusqu'à la perte d'identité et l'autodestruction.

Ce qui amène à reconsidérer les termes de la question posée "l'estime de soi se nourrit-elle d'orgueil ?", en opérant leur inversion, car c'est plutôt l'orgueil qui "dévore" l'estime, car, en interférant, il va circonvenir la justesse de l'appréciation que l'on peut avoir de soi et conduire l'estime à sa perte.

En effet, l'orgueil est un sentiment abusif, exagéré et exalté, qui incline à la démesure, qui outrepasse la fierté légitime d'être, l'intégrité et le respect inconditionnel auxquels toute personne humaine a droit, quels que soient ses origines, ses appartenances et les tenants et aboutissants de ses actions. L'orgueil déforme et fausse les systèmes de représentation à son avantage, transforme l'image que l'on a de soi par surenchère, surévaluation, et surtout conduit à se servir d'autrui uniquement comme faire-valoir.

A partir de quel moment la fierté, la dignité et le respect que l'on a pour soi-même se transforment-ils en orgueil ? Dés lors qu'il y a difficulté à extérioriser ces sentiments et à les engager dans des relations d'échange avec l'environnement, lorsqu'il u a impuissance, incapacité ou impossibilité à exprimer, à donner quelque hose de soi en partage, parce qu'il y a, à la base, des défaillances et des dysfonctionnements dans la construction du moi. L'orgueil cherche à camoufler et à compenser ces défauts en introduisant des fdacteurs inflationnistes difficilement maitrisables. Si l'ambition personnelle de réussir, de mener à bien un projet est un sentiment constructif, motivant, qui, une fois le succès obtenu, permet de s'adresser des félicitations et d'être content de soi, sans oublier tous ceux qui y ont contribué, autant l'orgueil déstabilise et trouble le résultat parce qu'il cache un mal être : la peur de la comparaison avec autrui, de la honte de soi, l'angoisse de la découverte de ses insuffisances et de la perte de l'estime des autres, et, par conséquent de la confiance en soi. L'orgueilleux va finalement aboutir au contraire de ce qu'il espérait, car il finit par perdre la reconnaissance des autres, et, tôt ou tard, par se retrouver seul avec ses prétentions, ridicule, méprisé de tous... L'estime est un appât pour l'orgueil qui l'envie, et qui en s'en emparant, provoque une indigestion.