Café philo du dimanche 25 janvier 2004 au Bastille à Paris
Sujet proposé par Janine : "Deviens ce que tu es" (Nietzsche)
Animé par Bruno Magret
Extraits du débat
- Pascal : Nous sommes persuadés d'avoir quelque chose en nous qui nous est propre. Quelqu'un a dit qu'il fallait partir de rien, du néant. Il faudrait expliquer ce qu'on entend par néant. S'il y a le néant ça veut dire qu'il n'y a pas d'intérieur et d'extérieur. Accepter notre finitude c'est très compliqué.
- Bruno : Si on parle d'étant, c'est que la vie n'est pas un long fleuve tranquille.
- Laura : On ne sait pas ce qu'il y a à l'intérieur, ni à l'extérieur. Je crois qu'il y a une construction. Deviens ce que tu es, c'est une démarche de contruction entre ce qu'on est soi-même... les jumeaux vont se construire différemment.
- Janine : L'étant que nous sommes est dans la quotidienneté, mais peut se projeter.
- Bruno : Il y a l'idée de construction, mais pas au sens habituel.
- Sabine : On connaît, on déconstruit et ensuite on crée.
- Emma : Il s'agit de ressentir l'impression d'être en vie, avoir conscience d'être en vie, l'angoisse de la finitude.
Il y a peu de gens qui vivent vraiment.
- Mohammed : Si j'étais Marx, j'inverserais la phrase, je dirais "Deviens ce que tu n'es pas".
- Georges : A priori cette injonction peut paraître absurde, mais il se pourrait que ça ait quand même un sens dans la mesure où cela veut dire : cesse d'être faux, cesse de vouloir paraître, ose être ce que tu ressens réellement.
- Bruno : On ne porte pas le même masque avec sa femme, avec ses enfants, avec ses amis. Il faut sortir de notre conditionnement. Mais ça n'est pas suffisant. Il y a une connaissance en nous, qui n'est pas un savoir au sens mathématique. C'est une connaissance de soi. "Connais-toi et tu connaitras l'univers et les dieux." Ca voudra dire que "préexiste" de façon intemporelle cette connaissance. Le buisson ardent a dit à Moïse "Je suis celui qui est", ce que nous sommes avant qu'on nous programme. Nous serions un être simple avant qu'on reçoive tous les attributs que notre éducation nous a donnés. Socrate dit "Je sais que je ne sais pas". Cette ignorance permet de se déconditionner pour retrouver cette simplicité d'être. Heidegger veut retrouver cette métaphysique dans un monde rempli de technique, sans âme, alors qu'on a déconstruit l'être en disant que c'est une illusion. Nietzsche dit que nous inventons sans arrêt des arrière-mondes fantasmatiques. Est-ce qu'il y a un soi. Jung distingue le moi du soi impersonnel, qui n'a rien à voir avec une légende personnelle. Est-ce qu'on peut présupposer un être éternel ? Et s'il n'y a pas de soi ? Comme l'oignon, il n'y a pas de noyau. Ca peut être une formidable illusion, ce qui amène à rejeter la métaphysique. C'est pour ça qu'on est venu au pragmatisme, au matérialisme. C'est contre ça qu'Heidegger se bat pour retrouver l'être, le dasein. Comment se fait-il que sa pensée, dans cette volonté de retour en arrière, l'ait conduit à adhérer au parti nazi ? Est-ce que dans sa pensée même il n'y avait pas cette tentation ?
Monsieur, qui êtes-vous ?
- Canal 11.
- Bruno : On n'est pas des objets de consommation dont on va se servir pour faire de l'argent. Le respect voudrait qu'on se présente, on ne vient pas comme un voleur. Demandez aux gens s'ils veulent se laisser filmer ou pas. Moi, je suis recherché par la police. Qui ne veut pas se faire filmer ? Des gens peuvent vous attaquer en proçès et vous demander des droits d'auteur parce qu'ils apparaissent sur une image. L'incident est clos. Est-ce qu'on peut en discuter après ?
- Marina : Tout est lié. On fait partie de l'ingénieur créateur.
- Bruno : Les philosophes ont dit que l'être est un. Nous sommes jetés dans un monde fragmentaire, séparés les uns des autres. Chacun vit sa vie personnelle.
- Jérémie : Il faut prendre comme postulat qu'il y a un centre. L'univers est stratifié et en boucle.
- Jacques D. : C'est une hypothèse.
- Jacques B. : La question qui se pose c'est : est-ce qu'il y a une âme immatérielle qui serait porteuse d'au moins une part de la personnalité, ou est-ce que la personnalité vient uniquement d'influences extérieures : éducation, vécu...
Si on considère qu'une part de notre personnalité se trouve dans une âme immatérielle, on pourrait dire que ce que tu es, ce serait cette part qui ne viendrait pas de l'extérieur. Si par contre on considère soit que l'âme n'existe pas, soit qu'elle est complètement indifférenciée, l'identité personnelle viendrait uniquement d'influences extérieures, quel sens pourrait-on donner à "deviens ce que tu es" ? Est-ce que ça sous-entendrait que parmi ces différentes influences qui s'affrontent en nous, il y en aurait certaines qui seraient plus authentiques que d'autres, qui seraient la vraie personnalité ? Selon quels critères ? Est-ce qu'il n'y aurait pas quelque chose d'illusoire dans cette idée qu'il y aurait une part de notre personnalité plus authentique que les autres ? A moins qu'on considère que devenir ce que l'on est ça serait perdre toute identité personnelle. J'ai l'impression que c'est un peu ce dont parle Pascal, mais je me demande est-ce qu'on peut vivre authentiquement sans être personne ? Pourquoi pas défendre l'idée d'assumer son identité, même si elle vient de quelque chose d'extérieur ?
- Bruno : Pour certains philosophe le tao est indifférencié.
- Pascal : Il y a une différence entre ce qu'on prétend vouloir et ce qu'on veut vraiment, et entre ce qu'on prétend que l'on est et ce que l'on est vraiment. Un homme de paix n'est pas un homme en paix, c'est un homme en guerre contre la guerre. Il faut être honnète, se rencontrer en tant qu'être humain, non en tant qu'entité dont on ne sait même pas si elle existe. Il y a 2 sortes d'élucubrations : dire n'importe quoi, ou faire des hypothèses qui sont des expressions de l'ignorance. "Le Un est en nous", je n'en sais rien. Qu'est-ce qu'un homme épanoui ? L'avenir ne précède pas le maintenant. Le maintenant contient tout, passé, présent, avenir.
- Georges : Dans "Ainsi parlait Zarathoustra", Nietzsche parle de 3 transformations de l'esprit. D'abord, l'esprit est comparé à un chameau chargé de lourds fardeaux, puis un lion qui rejette tout ce dont il était encombré, puis il devient enfant. C'est peut-être ça le sens de "Deviens ce que tu es" : deviens enfant, mais sans retomber en enfance. Jésus disait "Devenez comme des petits enfants".
- Bruno : Cette simplicité indifférenciée de l'être.
- Laura : Cette phrase doit être terminée : "Deviens ce que tu es... pour être heureux."
Toutes les langues ont un noyau commun de 200 mots qui permettent de se comprendre. Mais il faut enrichir son vocabulaire pour vraiment comprendre les autres.
Pour être heureux avec les autres il faut apprendre les langues étrangères.
- Bruno : La plupart des philosophes cherchent la vérité, qu'elle nous rende heureux ou malheureux. Au moins la vérité nous affranchit. Pourquoi finir la phrase ? Il y a 3 questions :
- Y a-t-il une âme ? Immatérielle, je ne sais pas, parce que ça serait dans la dualité matérielle - immatérielle. Ca serait quelque chose qui dépasse la dualité matérielle - immatérielle. Ce serait quelque chose qui nous est inconnu, impossible à décrire, à concevoir, de l'ordre de l'éternité, qui pourrait être apparenté au néant mais ce n'est pas une bonne façon de le décrire, ou est-ce que nous sommes un oignon, on enlève toutes les pelures et il n'y a rien, c'est une illusion
- Cet être est-il impersonnel ou apesronnel, ou une potentialité qu'on peut développer et enrichir ? Le savoir... le lion rejette ce savoir. Le surhumain est un enfant créateur.
- est-ce que la connaissance débouche sur le savoir être qui nous permet de découvrir ce qu'est l'autre et qui nous sommes et on retourne peut-être à cette simplicité par l'intermédiaire d'un savoir.
Est-ce qu'il faut vraiment poser un avant et un après ?
Est-ce que la querelle entre les essentialistes qui présupposent l'essence de l'être et les existentialistes pour lesquels il n'y a pas de présupposé de l'essence et que c'est à nous de donner du sens à notre vie, il est bien possible que cette querelle n'ait pas de fondement.
Quand un essentialiste parle de l'être, il ne parle ni d'avant ni d'après, parce que nous sommes dans le monde atemporel, l'instant atemporel. Selon la phénoménologie d'Husserl il faut revenir aux choses même et suspendre le jugement dans un silence intérieur, accepter de ne plus rien savoir, et peut-être là il y a quelque chose qui se révèle.
- Jean-Pierre : On est traversé par des pensées négatives et des pensées positives.
- Bruno : Il y a l'unité de la conscience, l'unité à postériori. Nous sommes des personnalités multiples, et pour pouvoir avoir une cohérence dans le monde, il y a une unité qui se crée sur le plan de la conscience, qu'on appelle moi. Mais le philosophe ne s'intéresse pas à ce moi, cette unité apparente. Il dénonce cette unité, fait éclater cette personnalité au risque de la folie, et cherche l'unité profonde, l'être qui fait que nous sommes un, nous sommes tous le même être. Mais est-ce que c'est une réalité, est-ce qu'il y a un être qui nous relie tous ? Peut-on le présupposer ? Pourquoi les philosophes l'ont-ils présupposé ? Cette évidence est tellement éclairante que le philosophe rentre dans la contemplation. Il contemple les idées et se fond dans l'être, l'âme se fond dans le Un.
- Monique : Au début, à la naissance, il n'y a pas d'esprit. Il n'y a que des sensations physiques bonnes ou mauvaises, qui deviennent des émotions.
On ne regarde jamais les êtres et les choses telles qu'ils nous apparaissent dans leur instantanéité. On regarde le monde à travers le prisme du conditionnement. On n'a jamais cette fraîcheur d'esprit qui nous permet de regarder ce qui apparaît. Il faudrait revenir aux choses même pour retrouver l'idée même des choses, et pour ça il faudrait suspendre le jugement.
- Jérémie : On est dans une unité physique du corps. Il y a un évidement de Dieu en vue de sa réincarnation. Il y a un confort à ne pas se laisser pénétrer par l'autre. On est toujours en interaction.
- Bruno : Ce n'est pas la lumière qui va nous rendre heureux. Il faut passer par la nuit, la solitude, l'angoisse, ce désert où on perd tous nos prédicats, nos repères, on se perd indéfiniment. Est-ce qu'on peut l'accepter ? C'est à cette condition qu'on peut éprouver ce qui nous unit, c'est-à-dire la vie.
- Claudine : L'enfant ne se reconnait pas en fait car il ne voit pas son âme dans le miroir, il se voit de l'extérieur.
- Pascal : Il ne faut pas confondre ne pas savoir et être perdu.
- Marina : Pourquoi y a-t-il toujours les mêmes lois mathématiques et physiques ? Pourquoi la lumière se déplace-t-elle toujours à la même vitesse ? Deux photons peuvent être à la même place en même temps.
Avec une autre géométrie qui va au delà du temps... est-ce que l'homme a une âme ? C'est possible dans un autre espace.
- Bruno : En physique les mêmes causes produisent les mêmes effets, mais dans le domaine ontologique c'est-à-dire le domaine de l'âme, on ne peut plus rien trouver, parce que ce n'est plus du tout les mêmes lois, d'ailleurs on ne sait même pas s'il y a des lois. Il n'y a plus de temps, il n'y a plus d'espace, il n'y a plus rien. On est entré dans un autre espace. C'est au delà de toute dualité, et c'est pour ça qu'on ne peut plus rien dire. La seule possibilité est de nous taire., rentrer en contemplation, parce que notre langage ne peut décrire que les choses de notre monde
- Marina : Je suis d'accord, dans la contemplation on est plus conscient, on arrive à vivre le temps autrement. Quand on est vivant, pourquoi on a toujours la même structure, pourquoi on est toujours nous ?
- Bruno : Les cellules ne sont pas les mêmes, elles sont renouvelées. On ne se baigne jamais dans la même eau, et pourtant c'est toujours le même fleuve. C'est le même paradoxe. On n'est jamais le même et pourtant il y a peut être quelque chose d'éternel. Le philosophe est poète. Les mots sont des métaphores, des symboles pour exprimer l'indicible.
- Emma : J'ai vraiment conscience de moi quand je suis dans un état d'angoisse, face à un choix important. Je ne sais pas ce que je vais devenir.
- Bruno : Il faut traverser le rubicon. C'est le Wu Wei, agir sans agir, parce qu'on a accepté l'angoisse.
- Abandonner la maîtrise
- Bruno : C'est ce qu'on appelle le lâcher prise.
- Laura : Si je me déconditionne, et les autres, s'ils ne sont pas au même niveau ?
- Bruno : Qui a envie de vivre sans repères, d'arrêter de croire, de devenir un incroyant ? c'est-à dire l'état d'esprit avant toute croyance. Le philosophe est confronté avec sa solitude. Poser tout ce qu'on croit savoir, se retrouver dans la nuit, on ne sait plus où on est. Il faut regarder beaucoup de chaos pour voir danser une étoile. On est seul à pratiquer cette philosophie.
- Janine : Finalement j'ai fini par croire qu'Heidegger n'a jamais été nazi sinon il n'aurait pas démissionné de son poste de recteur.
- Bruno : Cette notion d'être était évacuée, on est dans une philosophie matérialiste. Heidegger fait ce retour à l'être. Beaucoup voient sa participation nazie comme une régression à une antique philosophie. Ce n'est pas si simple.
- Gilles :
Je est un autre. Tu es un autre. Deviens deux. Deviens l'autre. Deviens autre. Deviens ce que tu n'est. Nait sens. Avec l'autre co-nais. Connais sens de l'existence envie... Je ne m'aime que lorsque je me préfère aux truies... Il faut oser être soi-même. Je suis celui qui est. Ma reconstruction et ma co-création renait sens en reconait sens. La plus haute vertu humaine consiste à donner sur soi une priorité à l'autre. Levinas. Parcelle passerelle aile d'univers sel de la terre l'autre, l'autre en nous de nous-même...