Café philo du mercredi 9 janvier 2002 au Bar des Oiseaux à Nice
Sujet proposé par Kiko : Est-ce que le bien est la même chose que le bonheur ?
Animé par Bruno Giuliani
Résumé du débat
- Kiko : C'est presque l'opposé. Le bien et le mal c'est une dualité. Le bonheur est une recherche individuelle de satisfaction personnelle. Le bien est universel.
- Bruno : Le bien est une notion morale, le bonheur est un sentiment.
- Le bonheur est un état fugace, il n'existe que par comparaison, il ne s'apprécie que par comparaison.
- Le bien et le mal sont relatifs, le bonheur c'est pareil. On a chacun ses critères.
- François : Le bien et le bonheur sont différents. On peut trouver son bonheur dans le mal. Le bien est pensé. Le bonheur, on le ressent. On n'a pas à se dire qu'est-ce qui doit me rendre heureux. Le bien ne s'impose pas à tous, il nécessite une réflexion. On est tous d'accord sur le bonheur même si nous le vivons différemment.
On n'est pas d'accord sur le bien.
- Bruno : Je ne pense pas qu'on puisse être dans la satisfaction complète si on fait le mal. Est-ce qu'on peut être dans le malheur en faisant le bien ?
- Il y a un paradoxe à lever par rapport à la pathologie.
- Jacques : Quelqu'un qui a une conscience morale se sentira mal s'il fait le mal, mais quelqu'un qui n'en a pas pourra être heureux en faisant le mal. On peut définir le bien comme le fait de donner du bonheur aux autres. Quand les ressources sont limitées le bonheur est à partager : plus on en donne aux autres moins il en reste pour soi et réciproquement. Une pathologie est quelque chose dont on subit les conséquences néfastes. Si quelqu'un a suffisemment de pouvoir pour faire du mal aux autres sans craindre leur vengeance et s'il tire profit de cette situation, peut-on parler de pathologie ?
- Le bonheur pour moi c'est l'auberge espagnole.
C'est une question de religion, de culture.
Le bonheur pour moi n'est pas nécessairement le même que pour un africain.
- Le bien appartient aux catégories de Platon, c'est une idée qui préexiste à la conscience de l'homme normal. On entend la voix de la conscience morale : "Ce n'est pas bien ce que tu fais"., le surmoi. Le bien ne fait pas appel aux sens, le bonheur oui.
- Bruno : Un sentiment, c'est concret. Le surmoi n'est pas la conscience morale.
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Pour manger j'arrache une plante qui elle-même tue les sels minéraux.
Le bonheur c'est trouver ce dont on a besoin. Le bien est la mémoire collective. Toute chose a un début et une fin. Le bonheur est plus proche de moi que le bien.
- Je ne vois pas comment le bien et le bonheur peuvent être séparés. Le bien, c'est ce qui apporte le bonheur à tous. C'est séparé quand on se trompe, on va vers ce qui n'apporte pas le bonheur. En allant vers le bien, déja ça donne du bonheur.
- Bruno : Est-ce que tu estimes qu'on peut faire le mal et être heureux ?
- Je ne pense pas, ou on n'est pas conscient à ce moment-là.
- Je suis prêt à tout pour être bien.
- Kiko : Le bien c'est faire la différence entre l'odieux et le délicieux.
- François : Il y a un rapport entre le bonheur et les biens. Pourquoi le bonheur est-il lié aux biens ? Comment passe-t-on du bien aux biens ? Il y a une idéologie dominante sur le bien.
- Les personnes qui ont le plus de biens peuvent être les plus malheureuses.
-
Est-ce que quelqu'un sait si Louis XIV se torchait le cul tout seul ou si quelqu'un le torchait ?
"Ennui" vient de "in odio esse", "odio" c'est la haine. Le bonheur vient de "augure", superstition.
Les valeurs personnelles dépendent des valeurs collectives. Le for intérieur dépend du for extérieur. Ce qu'a fait Ben Laden, pour lui c'est le bien.
Les conditions d'harmonie sociale déterminent le bonheur individuel.
- "La vraie valeur morale conduit au bonheur" selon Odile. Les gens s'en moquent sinon on ne serait pas envahi de gaz carbonique.
- Chacun compte sur l'autre, il faudrait que chacun donne l'exemple.
- Les corses méprisaient les sardes. Quand j'étais petite, j'ai enroulé des ronces autour d'une petite sarde. Elle ne se défendait pas car j'étais la fille de la maitresse. Je savais que c'était mal, personne ne me l'avait dit mais il y avait une voix intérieure. La notion de bien était opposée à ce qu'on m'avait dit.
- Le bonheur, on peut le vivre de façon égoïste. Le bien, on ne peut le vivre sans les autres.
- Roland : On a fait le bien, on est heureux, c'est une récompense.
Nietsche a écrit "Par delà le bien et le mal". Le surhomme qu'il voit me laisse pantois. Il me faut un bien et un mal.
Un drogué peut avoir du bonheur, un moment où il jouit. Tout le monde pense qu'il fait le mal. Il ressent une illusion de bonheur.
- C'est un jugement de valeur.
- Bruno : La philosophie consiste à faire des jugements de valeur et à les justifier.
- La notion de bien est extérieure. Le bonheur est intérieur.
La règle morale peut être contraire au bonheur qui est au fond de moi.
Il faut savoir dépasser la règle. Le passé ne doit pas être un pont vers moi-même.
- J'ai eu un sentiment d'injustice quand j'ai été punie pour avoir martyrisée cette petite sarde.
- Entre pensée et passage à l'acte il y a une différence.
- Bruno : Le critère du bien et du mal est un critère d'universalité. Le bien est ce qui peut être voulu par tous les hommes, ce que la raison comprend comme universellement désirable.
Nietzsche pense qu'il y a des illusions sur le bien et le mal. Il faut être lucide sur ce qui est réellement bon ou mauvais. La question posée par Kiko reste ouverte.
Est-ce que le bonheur est désirable ?
Si ce que je veux est faire le bien, est-ce que je dois renoncer à mon bonheur ?
- Comment se fait-il que des criminels n'aient pas de conscience morale ?
- Kiko : Tous les petits bonheurs de chacun vont à l'encontre du bien.
(Pause)
- Bruno : J'ai écrit un livre où j'explique mes conceptions. J'écris actuellement un livre sur le bonheur. Je présenterai mes idées le 18 janvier au Forum de la FNAC au Cyber Emploi à 15h30.
- Autres annonces : café philo mercredi prochain à 19h30 à l'Arob@s : a-t-on besoin de ce qui n'existe pas ?
Jeudi en face du théâtre Francis Gag à 18h30 : la victimisation.
- Bruno : Nietzsche propose de rejeter toute morale. Il distingue ce qui est bon ou mauvais pour chacun. Il faut être égoïste. C'est une subversion de la morale. Il faut se mettre d'accord sur ce que nous voulons tous. Comment appliquer la morale dans sa vie ?
- Pour faire le bien, il faut commencer à ne pas faire le mal, ne pas blesser ses interlocuteurs.
- C'est très sensé. C'est la conne qui vous parle. La conne vous dit qu'elle a été préselectionnée sur Arte par un détecteur de talents.
- On sous-entend que la petite aurait pu ne pas torturer.
Puisqu'on met les gens en prison, on nous fait croire qu'on aurait pu faire autrement. En lisant des gens comme Nietzsche, Spinoza, Einstein, Voltaire on peut en douter. Mais il y a plus de philosophes qui défendent la liberté. L'idée qu'on n'aurait pas pu faire autrement est minoritaire. La société est insidieusement contruite là-dessus.
- Bruno : Ce n'est pas la liberté qui est remise en question, c'est le libre arbitre. Tous ces philosophes disent que quand nous agissons nous avons le sentiment, l'illusion de libre arbitre.
C'est de l'ordre de l'illusion de la conscience qui fait croire que nous pouvons maitriser notre corps par la volonté.
Ces philosophes disent que nous sommes ontologiquement innocents. Ce n'est pas qu'on nous l'inculque, nous en avons une illusion, nous pensons que la volonté est différente du désir.
Ce qui engendre le mal est la haine.
La véritable morale ne peut être fondée sur la volonté mais sur l'amour du bien.. La raison est soumise aux passions. Il faut l'élan du coeur.
Comment comprendre ceux qui n'ont pas de conscience morale ?
Ils ne peuvent faire le lien entre le jugement intellectuel de la situation et le sentiment. Celui qui n'a ni l'amitié ni la charité est inhumain. Le pervers prend plaisir au malheur d'autrui.
- Est-ce qu'on est assez serein pour savoir ce qui est bien pour nous à un moment donné ?
- Quand on est heureux, on fait le bien.
- L'origine de la haine est la souffrance intérieure.
- Si on était plus heureux on ferait plus le bien.
Il y a des gens qui ont plus d'aptitude au bonheur.
- Tout ce qui est extérieur est subjectif. Le bonheur est objectif. Le bien est un moyen, pas une fin. La vraie fin est au-delà de nous.
- Le raisonnement est intellectuel.
- Bruno : Tous les raisonnements sont intellectuels.
- Ce qui est extérieur, chacun le voit avec ses yeux. Ce qui est intérieur est une objectivité personnelle.
- Bruno : Tu manies le paradoxe.
- Le jour où j'ai été sélectionnée par Arte ...
(Applaudissements)
- ... je n'ai eu aucune vanité, aucun bonheur.
- François : Je suis très reservé sur le fait qu'on puisse s'entendre sur la paix, la liberté, la culture... Ca se discute parfois les armes à la main. Si on occulte le problème que pose le bien, il devient impérialisme.
- Bertrand : Il faut faire de la résistance par rapport au bonheur. Je me réveille, je suis fou de bonheur, quand je lis le journal mon bonheur est tari. Je ne suis pas heureux de ce qui se passe. Pourquoi y a-t-il tant de cafés philo ? On vit dans une société dégueulasse au niveau des relation humaines.
- Bruno : Si tu veux le bien, c'est parce que ça te rendra heureux. C'est pour ton bonheur que tu veux le bien.
- Nous pouvons nous respecter pour faire notre bonheur ou contribuer au bonheur d'autrui.
ëtre citoyen ce n'est pas voter, c'est être juste et généreux.
- Séparer le désir de bonheur du désir de bien me semble illusoire.
- Il y a déficit entre ce qu'on dit, ce qu'on fait, ce qu'on est.
- Il faut agir par le vote.
- La vraie action est dans la consommation.
- Si on ferme les usines d'armes les mecs sont dans la rue.
- Jacques : Je suis d'accord que les actes doivent être conformes à la pensée. Ca contredit ce qu'on a dit à propos de la petite sarde martyrisée, qu'il faut faire la différence entre la pensée et le passage à l'acte. L'attitude des adultes était incohérente.
Il m'est arrivé une histoire similaire : on m'avait dit que c'était très mal de bavarder en classe. Quand j'ai dénoncé un camarade de classe qui bavardait je ne comprenais pas pourquoi on me le reprochait.
Les adultes doivent réfléchir aux conséquences de ce qu'ils disent aux enfant.
Qu'est-ce qui est le plus fondamental dans la relation entre le bonheur et le bien ? Il y a deux façons de voir les choses : soit on considère que le but est le bonheur, et que quelque chose est bien si ça contribue au bonheur, soit on considère qu'il y a d'autres buts et que le bonheur est une récompense qu'on reçoit quand on réalise ces autres buts. On considère généralement que le bonheur procuré par la drogue est illusoire et que c'est quelque chose de mal. Cette position présuppose qu'on considère que le bonheur n'est pas le but ultime. La drogue apparait alors comme une façon de tricher avec la nature, de voler la récompense.
- Bruno : Quand on fait le mal, on culpabilise.
- Est-ce qu'on peut être heureux après la Shoah ?
- Bien sûr que oui, je suis optimiste.
- Il faut être heureux pour rendre les autres heureux. On ne peut donner que ce qu'on a.
- Bruno : Tu crois que le bonheur ça se donne ?
- Apprendre à comprendre à travers ses propres limites.
- On n'a pas beaucoup parlé de la définition du bien. Le bien c'est le partage du temps de parole, de l'écoute.
- Bruno : On a énoncé des idées fortes : on peut être optimiste et prudent.
Paul Ricoeur "Soi-même comme un autre".
La vision de la raison, l'éthique, c'est chercher une vie ressentie comme bonne dans une institution juste avec et pour les autres.
Alors cette vie désirable pour tous les hommes, de l'ordre du juste, est universelle. Toute personne qui n'opère pas dans ce sens est dans le mal.
Prochain sujet (dans 15 jours)
L'Euro entrainera-t-il la fin de la politique économique keynesienne ?
Réflexions
Est-ce qu'on veut nous faire croire que le libre arbitre existe ? C'est une question métaphysique. Nous sommes faits de matière régie par les lois physiques. Où est le libre arbitre là-dedans ? Le non déterminisme de la physique quantique pourrait en apparence le permettre. Mais ce probabilisme est représente par une fonction d'onde qui intervient dans l'équation de Schrödinger et qui contient implicitement la théorie des mondes multiples :
si on a plusieurs particules, on a une seule fonction d'onde psi (t, x1, y1, z1, x2, y2, z2, ... xn, yn, zn) et non pas une fonction d'onde par particule. C'est la fonction d'onde universelle d'Everett.
Toutes les théories comme le collapse de la fonction d'onde, la décohérence, l'interprétation transactionnelle... me semblent être des rafistolages de la théorie destinés à éviter les mondes multiples. Y aurait-il une volonté d'étouffer la réalité des mondes multiples ? Comme quelqu'un a dit à propos du fait que l'homme descendrait du singe, "Pourvu que ce ne soit pas vrai, et si c'était vrai, pourvu que ça ne se sache pas !".
Si tous les choix possibles sont effectués parallèlement, la notion de libre arbitre n'a pas plus de sens que s'il y a un seul choix qui est effectué de façon prédéterminée : globalement, si on considère toutes les ramifications de l'évolution du monde, il y a déterminisme. S'il n'y a pas de libre arbitre, l'éthique s'effondre.
Mais en réalité, le problème ne se pose pas vraiment. Il suffit de faire une sorte de pari pascalien du libre arbitre, certes un pari paradoxal puisqu'il consiste à parier sur le fait que notre vision du monde est erronée ! On a pourtant tout intérêt à faire ce pari car l'erreur est gravissime dans un sens, si on mise sur l'inexistence du libre arbitre alors qu'il existe, mais est sans aucune importance dans l'autre sens.